Manipulations de robots programmables en classe par des
élèves de 9-10 ans. Éducation au numérique et
culture technique
Olivier GRUGIER (Université de Paris-Cité, Laboratoire
EDA)
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RÉSUMÉ : L’apprentissage
de l’informatique a pris place dans les programmes d’enseignement de
l’école primaire et avec lui, des robots programmables sont
introduits dans les classes. Ces artefacts permettent également de
construire une culture technique. Dans cet article, les activités de
nature technique des élèves d’une classe de CM1 sont
analysées. Cette analyse permet de révéler les
schèmes mis en œuvre par les élèves pour
s’approprier le robot BeeBot® puis un robot plus complexe, le
ProBot®.
MOTS CLÉS : Éducation,
apprentissage, robotique, activité, enfant, technologie.
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Programmable robots in the classroom with 9-10 year old students. Digital education and technical culture. |
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ABSTRACT : Digital
education has taken place in elementary school curricula and with it,
programmable robots are being introduced into school. These artefacts also allow
acquiring a technical culture. In this article, the technological activities of
10 year olds in a class are analyzed. This analysis makes it possible to reveal
the processes and approaches implemented by the children to appropriate the
BeeBot® robot then a more complex robot, the ProBot®.
KEYWORDS : Education,
learning, robotic, activitie, children, technology. |
1. Introduction
Depuis 2016,
l’apprentissage de l’informatique a pris place dans les programmes
d’enseignement de l’école primaire (Vandevelde et Fluckiger, 2020).
Devenu enjeu sociétal, cet enseignement vise à éduquer les
citoyens en leur donnant les moyens de comprendre les traitements
réalisés par les systèmes qu’ils utilisent et
à initier chacun à des notions en informatique (Baron et Drot-Delange, 2016).
Cette recherche a été réalisée dans le cadre du
projet ANR « IEcare» (http://iecare.lip6.fr/), portant sur
l’étude de la conception et de la mise en œuvre de
scénarios pédagogiques par des enseignants. En France, quelques
professeurs des écoles choisissent d’utiliser des robots
programmables en vue de faire acquérir des connaissances à la fois
en technologie et en informatique aux élèves. Nous
présentons dans cet article une étude de cas portant sur
l’analyse d’un scénario pédagogique conçu par
un enseignant avec deux robots programmables dans une classe de CM1.
Après un bref rappel historique concernant l’introduction de
robots programmables dans des classes pour des visées
d’apprentissage de l’informatique, une comparaison des deux robots
BeeBot® et ProBot® utilisés dans cette classe de CM1 permettra
d’identifier à la fois les points communs et les différences
d’un point de vue technologique. La quatrième partie
présente le cadre théorique à partir duquel les questions
de recherche seront posées. Une fois la méthodologie
développée, les résultats seront exposés avant de
terminer sur des discussions et des perspectives de recherche.
2. Des robots programmables dans les classes
Depuis 1985 avec la présentation du Plan
Informatique pour Tous (IPT) et en faisant suite aux travaux de Papert (Papert, 1980) et
d'Harel et Papert (Harel et Papert, 1991),
des robots programmables de sol pilotés ont été introduits
dans des classes. Ce plan politico-scientifique amorcé dès les
années 70 avec des recherches exploratoires en éducation (Baron et Bruillard, 1996) traduit une volonté institutionnelle d’équiper de nombreux
établissements scolaires par l’État.
Après l’expérience LOGO plusieurs fournisseurs de
matériel (Jeulin, Valiant, MB, Swallow...) vont développer des
robots de plancher avec des présentations et des caractéristiques
variées, comme le montre Greff (Greff, 1999).
Certains seront distribués dans les écoles françaises,
notamment les tortues T2, T3 et le robot Bigtrak.
Les premiers robots diffusés se présentent sous la forme
d’un dôme transparent (cf. Figure 1). Ils sont programmables soit
par l’intermédiaire d’un ordinateur raccordé à
ce robot, soit par l’intermédiaire d’un lecteur de cartes
perforées. Cependant, l’approche pédagogique n’est pas
toujours intuitive. En effet, comme le soulignent plusieurs chercheurs, (Grugier et Villemonteix, 2017), (Komis et Misirli, 2015),
la mise en œuvre des dispositifs expérimentaux en classe
n’était pas toujours évidente à cause de la
complexité du matériel informatique.
En classe, par des actions manipulatoires, les élèves
arrivaient à générer des déplacements du robot.
Cependant, étaient-ils capables d’analyser le fonctionnement du
robot pour faire un lien entre les actions sur ce dernier et les
déplacements engendrés ? Difficile à dire puisque les
travaux de recherche ne se sont pas intéressés aux questions de
compréhension du fonctionnement de ce système constitué du
robot, de cartes de programmation et du boitier de transfert.
Le robot Bigtrak, représentant un véhicule d’exploration
lunaire, disposait d’un pupitre de programmation sur son dos. Par rapport
aux robots précédents, il semble plus aisé de
générer des déplacements après avoir
programmé des instructions. Des expérimentations ont
été menées dans des classes avec le Bigtrak comme en
atteste un article relatant un projet informatique dans une école
maternelle (Allari, 1986).
Combes-Trithard (Combes-Trithard, 1984) relate que, suite à l’utilisation de ce robot, les
élèves ont développé le repérage dans
l’espace, un registre de langage, la rigueur et la capacité
à ordonner des informations. Aucune mention n’est faite concernant
des difficultés rencontrées par les élèves avec le
Bigtrak. Cependant, au regard de la solution retenue pour le programmer, qui est
proche des robots contemporains notamment le BeeBot®, il est probable que
des jeunes élèves aient pu avoir des difficultés à
comprendre la notion de stockage des instructions dans une mémoire
difficilement perceptible (Grugier, 2021).
Figure 1 • Le robot T3 (tortue) et son
boitier de lecteur de carte et de transfert
Trois décennies plus tard, la miniaturisation des composants
électroniques a permis de réduire les dimensions des robots tout
en proposant un habillage propice à une utilisation scolaire. La
robustesse de ces nouveaux robots autorise une manipulation hasardeuse propice
à une utilisation dans des classes. De plus,
« l’évolution des langages et le développement
d’environnements de programmation » (Nogry, 2020) favorise la mise en œuvre de scénarios pédagogiques où
les élèves apprennent à contrôler des robots à
travers un langage spécifique (Bers et al., 2014), (Komis et Misirli, 2015), (Komis et al., 2017).
Ces nouveaux robots laissent supposer une prise en main aisée et une plus
grande compréhension du fonctionnement par les élèves.
3. Deux robots : des points communs et des divergences
Dans la suite de cet article, nous nous
intéresserons à la culture technique pouvant être
développée par l’utilisation des deux robots BeeBot® et
ProBot® dans une classe de CM1. L’idée de culture technique
à l’école obligatoire est « celle
d’appropriation de techniques comme composante de toute éducation
générale » (Martinand, 2014).
L’utilisation de robots programmables nécessite
l’appropriation de techniques.
Nous identifierons dans un premier temps les points communs et les
divergences entre ces deux robots. Pour cela, nous distinguons plusieurs niveaux
de connaissances qui peuvent être construites avec ces robots. Nous
retenons les quatre niveaux de connaissance de Combarnous :
- « la connaissance coutumière - perception est la
familiarité avec l'objet,
- la connaissance fonctionnelle est la compréhension de la
fonction de l'objet,
- la connaissance technologique est la connaissance du dessinateur,
du monteur, du réparateur qui connaissent avec exactitude tous les
éléments de l'objet,
- la connaissance raisonnée correspond à une
connaissance rationnelle et globale ; elle réunit donc des
informations sur la fonction et le but de l'objet, des compréhensions des
technicités qu'il renferme dans sa conception comme dans sa
réalisation, des observations sur la place de l'objet dans le monde
matériel, des réflexions sur son impact sur la
société et sur les individus. » (Combarnous, 1984, p. 234-235).
La connaissance coutumière et la connaissance fonctionnelle
s’inscrivent dans les attentes des programmes scolaires pour un
enseignement obligatoire à l’école en France. Par contre, la
connaissance technologique et la connaissance raisonnée peuvent
être attendues dans le cadre de formations professionnelles
spécifiques. Pour identifier les connaissances fonctionnelles, il
convient d’abord de clarifier le fonctionnement des robots (Denhière et Baudet, 1992).
Ainsi, l’analyse fonctionnelle permet d’identifier les fonctions
techniques retenues dans la conception des objets.
Les robots BeeBot® et ProBot® se caractérisent par une
apparence robuste et ludique dont les déplacements peuvent se programmer
par des actions successives sur des boutons situés au niveau d’un
pupitre de commande qui est intégré. La fonction principale de ces
robots est de pouvoir générer une succession de
déplacements à partir d’une séquence composée
de plusieurs instructions.
Figure 2 • Le robot BeeBot®
à gauche et le robot ProBot® à droite
Différentes fonctions secondaires sont présentes. Pour chaque
fonction, les concepteurs ont choisi différentes solutions techniques.
Elles sont parfois identiques pour les deux robots et parfois
différentes. Pour ces robots, deux procédures sont à mettre
en œuvre avant de pouvoir générer un déplacement. La
première consiste à actionner les interrupteurs positionnés
sous le robot. L’un permet d’agir sur le circuit électrique
pour l’alimentation en énergie des organes de commandes et le
second commande le circuit électrique alimentant le buzzer pour
l’émission des sons. La seconde procédure consiste à
programmer avec l’interface une séquence d’instructions en
appuyant successivement et dans un ordre défini sur les boutons du
clavier.
La comparaison des solutions techniques retenues pour répondre aux
fonctions montre de nombreuses similitudes, notamment les modes de
déplacements des robots sur le sol et les procédures de
programmation. Ainsi, de nombreux points communs sont présents entre ces
deux robots, ce qui permet d’émettre l’hypothèse
suivante : après avoir découvert et
généré un programme de déplacement avec un
BeeBot®, un élève peut appréhender le
ProBot® pour ensuite générer un programme de
déplacement.
Cependant, des solutions techniques différentes sont présentes
entre le robot BeeBot® et le ProBot@ pouvant soulever des difficultés
dans l’appropriation. Le ProBot@ offre la possibilité de
définir la longueur du pas de déplacement ainsi que l’angle
de rotation. De plus, les lignes d’instructions du programme sont
affichées sur un écran offrant la possibilité de les
modifier (cf. Tableau 1). Il est également possible de programmer des
boucles pour répéter des séquences
d’instructions.
Tableau 1 • Différentes
solutions techniques choisies pour répondre aux fonctions techniques
entre les deux robots
Fonctions
|
Solutions choisies pour le BeeBot®
|
Solutions choisies pour le ProBot®
|
Programmer des actions |
Pupitre composé de 7 boutons |
Pupitre composé de 23 boutons |
Visualiser les actions saisies |
|
Un écran à cristaux liquides |
Effacer un programme ou une ligne |
Un bouton « X » permet d’effacer l’ensemble
des instructions |
Un bouton « clear » permet d’effacer au choix une
ligne d’instruction ou l’ensemble du programme |
Détecter un obstacle |
|
Deux capteurs de contacts : un à l’avant et un à
l’arrière |
Détecter de la lumière |
|
Un capteur de lumière |
Détecter du bruit |
|
Un capteur sonore |
Se déplacer en ligne droite |
En appuyant une fois sur le bouton flèche (devant ou derrière)
du pupitre puis sur Go, le robot se déplace d’un pas de 15cm. |
En appuyant une fois sur le bouton flèche (devant ou derrière)
du pupitre puis sur Go, le robot se déplace d’un pas de 25cm.
En appuyant une fois sur le bouton flèche puis sur les touches du
clavier numérique et ensuite Go, le robot se déplace de la
longueur saisie. |
Effectuer une rotation |
En appuyant une fois sur le bouton flèche (droite ou gauche) du
pupitre puis sur Go, le robot pivote d’un angle de 90°. |
En appuyant une fois sur le bouton flèche (droite ou gauche) du
pupitre puis sur Go, le robot pivote d’un angle de 90°.
En appuyant une fois sur le bouton flèche (droite ou gauche) puis sur
les touches du clavier numérique du pupitre et ensuite Go, le robot
pivote de l’angle saisi (en degré). |
Programmer une boucle |
|
Le bouton « Rep » permet de répéter des
commandes de déplacement. |
Contrairement à de nombreux travaux (De Michele et al., 2008), (Highfield et al., 2008), (Komis et Misirli, 2012),
nous ne nous intéressons pas à analyser le rôle de ces
robots dans le développement, chez les élèves, de
capacités de résolution de problèmes, de raisonnement
logique ou encore de numération mais à analyser les schèmes
élaborés par les élèves pour appréhender le
fonctionnement du robot BeeBot® puis du ProBot®. Ainsi, quelles sont les
capacités d’action et les connaissances fonctionnelles
développées par des élèves de début de cycle
3 concernant le fonctionnement du robot BeeBot® ? Ces capacités
et connaissances fonctionnelles sont-elles transposables pour prendre en charge
un autre robot programmable plus complexe du point de vue des solutions
techniques proposées ?
4. Cadre théorique pour analyser les activités des
élèves
L’introduction de robots programmables dans des
classes du primaire favorise la construction d’une éducation au
numérique (Baron, 2018) et
à la technologie. Cette éducation permet, par la présence
de technologie, l’acquisition d’une expérience informatique
avec pour enjeu, comme le précise Bruillard (Bruillard, 2016),
« de commencer à maitriser une technologie de travail :
développer également des capacités d’action sur le
monde et de compréhension de ce monde, des valeurs autour du travail
individuel et collectif ». Ainsi, la construction d’une
éducation au numérique ne peut se réduire à de la
programmation. L’éducation au numérique est une structure
composée de trois ensembles, science de l’informatique, culture
technique, culture citoyenne, qui selon Baron (Baron, 2018) forment différentes interactions. C’est la culture technique et les
capacités d’action développées dans un milieu
spécialement aménagé pour la rencontre avec les robots qui
sont questionnées dans cet article.
L’analyse de séquences pédagogiques mises en place avec
les robots, par des enseignants peu ou pas formés à un
enseignement de l’informatique met en jeu à la fois des contenus en
informatique (séquence d’instructions, programmation) et en
technologie (comprendre le fonctionnement de l’objet, identifier les
actionneurs) comme le montre Grugier et Nogry (Grugier et Nogry, 2021).
Ces objets ont un double statut (Lebeaume, 2019) :
objet pour apprendre des notions de programmation et objet à apprendre
(c’est-à-dire apprendre son fonctionnement pour agir
efficacement).
Grugier et Nogry (Grugier et Nogry, 2021) ont montré que les séquences pédagogiques mises en place en
classe sont constituées de deux phases. La première phase est
centrée sur la découverte du fonctionnement du robot et la seconde
sur l’utilisation et la programmation. Lors de la première phase,
les élèves déploient des aptitudes pour comprendre le
fonctionnement et résoudre les problèmes rencontrés avec
les robots. Ce caractère technique est selon Combarnous, la
technicité. « La technicité résulte de la
réunion et de l’interaction permanente de trois
composantes :
- une composante d’apparence philosophique, la
rationalité dans sa forme particulière de réflexion
technique,
- une composante d’apparence matérielle, l’emploi
d’engins, comme intermédiaire entre des volontés et des
actions,
- une composante d’apparence sociologique, les
spécialisations des individus et des groupes d’exécution de
tâches coordonnées » (Combarnous, 1984, p. 22-23).
Attardons-nous sur la notion d’engin utilisée par Combarnous.
C’est une notion qui englobe à la fois des outils, des machines et
des équipements. Elle fait référence au monde industriel
lié à la production. Pour notre part, nous emploierons parfois le
terme « d’objet technique », en référant
à des solutions techniques retenues dans la conception, et
également le terme d’artefact avec ses contraintes et ses
spécificités qui sont à comprendre et à
appréhender.
La rencontre, en classe, avec un robot programmable/un artefact, conduit
l’enfant à développer un raisonnement empirique pour prendre
en charge et mener des actions sur ce dernier en fonction du scénario
pédagogique élaboré par l’enseignant. L’enfant
s’adapte aux spécificités du robot, pour
générer un programme. Le robot influence les activités de
l’enfant de par les contraintes qu’il impose. En classe, les moments
scolaires proposés autour de la découverte du fonctionnement des
robots peuvent être collectifs ou individuels. Comme le précise
Hatano (Hatano, 1990),
les apprentissages se font au quotidien par des pratiques, par de
l’observation de pratiques et par le langage. Une des
spécificités de la manipulation et de la découverte
d’un robot en classe est l’organisation sociale mise en œuvre
par l’enseignant. Au cours des activités de raisonnement, de
manipulation, d’échanges, l’enfant élabore des
représentations sur le fonctionnement de l’artefact mis à
disposition.
Selon Nogry et al. (Nogry et al., 2013),
l’approche instrumentale développée par Rabardel (Rabardel, 1995) offre un cadre d’analyse pour décrire le schème
d’utilisation d’un artefact, comme les robots programmables
BeeBot® et ProBot®, dans la durée. L’approche
instrumentale « offre un cadre conceptuel pertinent pour
étudier la façon dont l’introduction d’une technologie
induit (...) une transformation de l’activité de
l’utilisateur » (Rabardel et Bourmaud, 2003, p. 11).
En classe, le robot programmable devient un instrument une fois associé
à des schèmes d’utilisation. Un schème se
définit selon Nogry comme une « organisation invariante de
l'action réalisée dans un objectif visé » (Nogry, 2020, p. 4).
Les schèmes constituent des outils qui permettent au chercheur de
modéliser les relations entre le geste et la pensée
élaborée par les élèves (Rabardel, 1995).
Les schèmes d’utilisation se mettent en place progressivement
à travers les moments scolaires proposés par l’enseignant.
En référence aux deux premières composantes de la
technicité de Combarnous (Combarnous, 1984),
ces moments scolaires sont de nature technique lorsque les élèves
cherchent à identifier la chaine de fonctionnement d’un artefact
à travers des tâches nécessitant une réflexion
technique pour atteindre un objectif visé par l’enseignant. Nous
supposons que l’enfant modifie son activité et que des
schèmes d’utilisation se construisent par la manipulation de
l’artefact et la découverte progressive des
propriétés de ce dernier. Ainsi, l’approche instrumentale
est retenue pour appréhender le schème d’utilisation
d’une technologie en situation et la technicité permet
d’identifier des moments scolaires de nature technique par la
présence d’artefacts en classe et la rationalité
déployée pour les utiliser.
Quels sont les indicateurs observables pouvant être retenus pour
définir un schème d’utilisation ?
En reprenant nos travaux pour l’analyse de l’activité des
élèves de maternelle (Grugier, 2021) et une partie des travaux de Spach (Spach, 2017),
l’analyse de l’activité des élèves se fait au
travers de deux axes. L’un centré sur les processus
élaborés par les élèves avec le robot (les gestes,
les actions sur les boutons, les traces écrites des élèves,
les discours) et l’autre, sur l’observation des mouvements des
robots programmables suite aux actions des élèves. La
réflexion et la succession des actions dans un ordre défini sur
les boutons d’un robot programmable caractérisent le processus mis
en œuvre. Le schème d’utilisation est considéré
comme en place lorsqu’un élève met systématiquement
en œuvre un processus permettant d’atteindre un même objectif
visé.
Le cadre théorique ainsi développé, nous posons les
questions de recherche suivantes :
- Quels sont les schèmes d’utilisation qui se
construisent, pendant les moments scolaires de nature technique et restent
disponibles dans la durée ?
- Quels sont les processus mis en œuvre par les enfants avec
ces robots programmables, qui leur sont peu familiers ?
- Quels sont les schèmes transférables pour la mise en
œuvre d’un robot programmable plus complexe de par les solutions
techniques choisies ?
Dans les lignes suivantes sont présentées la
méthodologie élaborée pour apporter des réponses aux
questions posées.
5. Méthodologie mise en œuvre
Cinq séances d’une heure et trente
minutes étalées sur cinq semaines, ont été
consacrées à la découverte et à la manipulation du
robot BeeBot® et du robot ProBot® dans une classe de CM1 de
l’académie de Paris. La séquence pédagogique,
décrite ci-après, a été mise en place pendant la
troisième période de l’année.
L’école de cette classe de CM1 est intégrée
à un Réseau d’Éducation Prioritaire (REP). Les
élèves sont majoritairement issus de catégories
socio-professionnelles défavorisées et ne disposent pas chez eux
de robots programmables. Néanmoins, durant les deux premières
périodes de l’année scolaire, les élèves ont
découvert des notions de programmation à partir de tablettes
tactiles et de l’application Scratch Junior. Ainsi, les notions de
programme, de déplacement, de codage ont été
explorées.
5.1. Séquence pédagogique proposée aux
élèves
Cette séquence pédagogique s’est déroulée
en trois phases. La première, découvrir le fonctionnement du robot
BeeBot® (séances 1 et 2), la seconde programmer le BeeBot®
(séances 3 et 4) et la dernière découvrir le fonctionnement
du robot ProBot® (séance 5). L’objectif de la première
phase était l’identification des fonctions des organes de commande.
L’objectif de la seconde était d’amener les
élèves à définir puis programmer une séquence
d’instructions afin que le robot se déplace sur un parcours
linéaire puis sur un parcours constitué d’obstacles à
contourner. Lors de la dernière phase, l’objectif consistait
à identifier les fonctions des organes de commande du robot ProBot®
et à programmer un déplacement.
L’enseignant est intervenu auprès des différents groupes
afin de s’assurer que chacun puisse découvrir les robots. La
démarche pédagogique de l’enseignant laisse une place forte
à l’investigation à travers la manipulation et
l’expérimentation effectuées par les élèves.
Pour cela, des groupes de 3 à 6 élèves ont
été constitués. Pour chaque groupe, un robot était
mis à disposition. Pendant les moments en classe, le chercheur
n’est pas intervenu auprès des élèves.
5.2. Protocole de recueil des données
Le chercheur a filmé les élèves pendant les moments de
manipulation du robot dans les groupes et pendant les échanges avec
l’enseignant en classe entière. Cette classe
n’étant pas équipée de robots, ces derniers ont
été introduits par le chercheur. Ainsi, les élèves
ne les avaient pas rencontrés auparavant.
Les groupes d’élèves ont été
constitués par l’enseignant mais pas spécifiquement pour ces
moments scolaires sur les robots. Il s’agissait de ne pas introduire des
variables supplémentaires notamment au niveau des rituels.
L’analyse des vidéos permet de relever les actions et les
échanges pendant les moments où les élèves
manipulent et échangent entre eux sur le fonctionnement des robots. Dans
ce corpus vidéo, nous avons cherché à identifier des traces
traduisant la construction de schèmes d’utilisation à
travers les processus élaborés et développés par des
élèves, en nous focalisant sur leurs gestes tout au long des
différentes séances.
5.3. Composition du corpus
Seuls les extraits des vidéos contenant des moments scolaires de
nature technique avec la présence d’un robot dans les groupes
d’élèves ont été retenus. Les vidéos
ont été découpées à l’aide du logiciel Movie Maker pour se concentrer sur les gestes des élèves et
la chronologie de ces derniers dans la manipulation des robots. Par une collecte
inductive à partir du visionnage des traces de constructions, des
processus mis en œuvre ont été recherchés. Le corpus
(cf. Tableau 2) est ainsi composé de capsules vidéo contenant des
moments scolaires de nature technique avec des élèves qui
manipulent les robots ou échangent sur les robots en classe. Afin de
répondre à la problématique de ce travail de recherche, la
durée des capsules vidéo peut varier entre quelques secondes (17s)
et plusieurs minutes (9min).
Tableau 2. Capsules vidéo constituant le
corpus
Séance |
Nombre de capsules vidéo |
Durée totale |
1 |
2 |
11min 36s |
2 |
8 |
7min 30s |
3 |
5 |
2min 44s |
4 |
13 |
32min 41s |
5 |
8 |
20min 30s |
5.4. Protocole d’analyse des données
Les composantes de la technicité permettent de caractériser les
moments scolaires de nature technique et l’approche instrumentale
d’analyser les activités des élèves dans ces moments.
Partant de ce cadre, une grille d’analyse, permettant de relever les
processus mis en œuvre pour atteindre les objectifs visés dans les
moments scolaires de nature technique, a été
élaborée (cf. Tableau 3).
Tableau 3 • Exemple d’une
grille d’analyse de l’activité des élèves
pendant les moments scolaires de nature technique
Numéro de séance : |
1/5 |
Durée de la capsule vidéo : |
6min22s |
Activités de nature technique |
Processus mis en œuvre |
Objectif visé |
Artefact(s) utilisé(s) |
BeeBot®, notice d'utilisation et câble d'alimentation |
Dans les équipes, les élèves ouvrent la boîte
contenant le BeeBot®, la notice de fonctionnement et le cordon
d'alimentation. Après 20s, les deux interrupteurs sont actionnés.
Les élèves appuient sur les boutons orange puis sur le bouton GO. |
Mettre en fonctionnement le robot et comprendre comment il fonctionne. |
Réflexion technique |
« Il faut le brancher. Je sais comment ça marche! En fait,
il faut d'abord l'arrêter et après appuyer sur les boutons orange
puis sur GO. Il faut d'abord appuyer sur ce bouton (Effacer) ». |
La section qui suit examine les schèmes d’utilisation des
élèves qui se construisent dans un environnement
aménagé (la classe). Cette approche se fonde sur une analyse
d’une succession de séances durant lesquelles les processus
manipulatoires se mettent en place et peuvent se modifier. Pour cela, la
première partie consistera à présenter l’analyse du
corpus par une approche chronologique des séances vécues par les
élèves. Dans une seconde partie, une analyse comparative des
processus manipulatoires développés avec les deux robots sera
effectuée. Cette analyse est présentée par un texte en
italique afin de mieux appréhender le contenu.
6. Schèmes d’utilisation élaborés par les
élèves
6.1. Construction d’un schème d’utilisation pour allumer
et programmer le robot BeeBot®
L’analyse de l’activité des
élèves lors de la première phase met en évidence la
mise en place d’une réflexion pour permettre de mettre en
fonctionnement le robot BeeBot®. Les élèves doivent
découvrir comment fonctionne ce nouvel objet.
Dans les groupes, les élèves ouvrent l’emballage dans
lequel se trouvent le robot, la notice d’utilisation et le cordon
d’alimentation. Certains élèves regardent la notice pendant
que d’autres manipulent le robot. Après une vingtaine de secondes,
l’observation et la manipulation du robot ont permis d’identifier la
présence de deux interrupteurs placés sous le BeeBot®. La
notice est rapidement abandonnée pour se concentrer sur le robot et les
voyants lumineux. Dans les secondes qui suivent (pour certains groupes, 4s
après avoir actionné les interrupteurs), les élèves
appuient sur les 4 boutons de direction puis sur le bouton
« GO ». Le robot se déplace en roulant sur la table.
Pour la suite de cette première séance, c’est principalement
le bouton « GO » qui est utilisé pour
générer le déplacement du robot.
Pour effacer la programmation, dans un premier temps, les
élèves pensent qu'il faut éteindre le robot. Après
deux tentatives, cette hypothèse n’est pas retenue. Dans un
second temps, ils disent qu'il faut appuyer sur le bouton
« X » (effacer).
L’objectif de cette première séance est rappelé
par l’enseignant lors du moment de bilan :
« qu’est-ce que vous avez compris du fonctionnement de ce
robot ? ». Immédiatement, un élève
dit avoir remarqué que le robot à une mémoire. Une autre
élève ajoute qu’il y a une mémoire car lorsque
l’on appuie sur les boutons orange et puis sur GO, « il (le
robot) répète, il se souvient de ce qu’il fait ».
Cette première rationalité technique sur le fonctionnement
du robot BeeBot® est nécessaire pour pouvoir interpréter
les déplacements et les associer aux actions sur le pupitre de
commande.
La classe pense également que les boutons orange servent à
« faire bouger » le robot. Comme le disent les
élèves « quand on appuie sur le bouton vers la droite,
il va à droite ». Pour un autre élève,
« il faut aussi appuyer sur GO pour avancer ». Ces
élèves ont également identifié la fonction du bouton
pause. Pour cette classe, ce « bouton bleu permet d'arrêter le
déplacement pendant 1s ».
Un schème d’utilisation se met en place avec la mise en
œuvre d’un processus pour d’une part mettre en fonctionnement
le robot et d’autre part programmer un déplacement du robot.
À la fin de cette première séance, les fonctions des
différents boutons semblent identifiées cependant, la construction
d’un processus pour programmer le robot ne sera stabilisée
qu’à la fin de la seconde séance. Le processus mis en
œuvre par les élèves consiste à agir sur les deux
interrupteurs placés sous le robot puis à mettre en action la
séquence d’instructions suivante : bouton effacer, boutons de
direction orange, bouton « GO ». Les élèves
vont ainsi générer des déplacements et identifier par la
suite la longueur d'un pas de déplacement du robot. Pour cela, un autre
artefact est introduit par l'enseignant. Il s’agit de la règle
scolaire de mesure. Cet étayage proposé par l’enseignant
guide (Bruner, 1983) la
pratique des élèves non pas dans la compréhension du
fonctionnement du robot mais dans l’activité des
élèves, en introduisant une procédure à suivre avant
de programmer. Ainsi, le crayon et la feuille de papier sont utilisés
pour représenter une séquence d’instructions (cf. Figure 3)
reprenant une représentation graphique des boutons du pupitre de
commande.
Figure 3 • Trace d’une
séquence d’instructions permettant de programmer un BeeBot®
pour un déplacement rectiligne
Cette représentation d’une séquence
d’instructions, sur la figure 3, permet d’observer des traces
d’une réflexion technique dans la programmation du BeeBot®. En effet, les élèves devaient programmer le déplacement du
robot afin qu’il se déplace sur toute la longueur d’une
table. Après avoir relevé qu’un pas du robot était de
15cm, les élèves ont tracé sur le plateau de la table des
repères tous les 15cm. Ils en ont déduit qu’il fallait
que le robot se déplace de 9,5 pas. Cependant, la conception du
BeeBot® n’autorise pas la programmation d’un demi-pas.
L’observation du fonctionnement du robot a donc conduit les
élèves à programmer le robot de 10 pas puis de 9 pas.
La phase de découverte par la manipulation a permis aux
élèves d’élaborer une procédure pour allumer
le robot. Elle a également permis une amorce de construction d’une
procédure permettant de générer des déplacements. Le
passage par une représentation graphique de la séquence
d’instructions a permis aux élèves d’apporter des
corrections au programme suite à la découverte des
caractéristiques de déplacement du robot.
6.2. Programmer efficacement le robot BeeBot®
Lors de la troisième séance, les élèves sont
conviés à programmer le robot afin qu'il se déplace d'un
point de départ jusqu'à un point d'arrivée. Sur les tables,
deux repères papier (post-it) sont positionnés, un pour
matérialiser le point de départ et l’autre, le point
d’arrivée. Les élèves utilisent un crayon et du
papier pour planifier le programme à implémenter. Des mesures de
distances sont effectuées pour définir le nombre de pas
nécessaires.
Les post-it n’étant pas positionnés à des
longueurs liées à un multiple de pas du robot BeeBot®,
plusieurs stratégies se mettent en place, de manière à
faire en sorte que ce dernier arrive soit à côté du point
d’arrivée soit dessus. La réflexion menée
consiste à atteindre l’objectif visé tout en prenant en
compte les contraintes de fonctionnement du robot. Ceci conduit à des
ajustements dans l’écriture d’une séquence
d’instructions et à des modifications dans la programmation.
Plusieurs itinéraires étant possibles, des stratégies
différentes se mettent en place : se déplacer en ligne droite
ou effectuer plusieurs virages (cf. Figure 4).
Figure 4 • Mesurer des distances pour
définir un nombre de pas
Lors de la quatrième séance, l’objectif est de programmer
le robot afin qu’il se déplace d’un point à un autre
tout en évidant des obstacles (cf. Figure 5).
Figure 5 • Identification d’un
itinéraire et représentation d’une séquence
d’instructions de déplacement
Le schème d’utilisation élaboré lors des
séances précédentes reste identique avec le
processus : effacer, flèches de direction et
« GO ».
Pour générer un déplacement, différentes
stratégies sont mises en œuvre : identifier le nombre de pas
à l'aide d'une règle, puis programmer et écrire la
séquence d’instructions sur une feuille. Ainsi, pour certains, il
s’agit d’une programmation pas à pas avec un
déplacement du robot sur la table au fur et à mesure, pour
d’autres des sous-programmes sont testés puis validés avant
de passer au sous-programme suivant et enfin, certains élaborent la
séquence d’instructions complète. Ces différentes
stratégies ont déjà été observées,
notamment par Komis et Misirli (Komis et Misirli, 2015),
lors de la mise en œuvre d’un scénario pédagogique
auprès d’enfants de 4 à 6 ans. Ces différentes
stratégies sont liées, également, aux
caractéristiques techniques du robot BeeBot®. En effet,
l’impossibilité de visualiser les lignes de programmation du robot
et de modifier un programme existant conduit les élèves à
essayer plusieurs fois la programmation d’une même section de
parcours. De plus, chaque erreur sur les boutons du pupitre nécessite une
nouvelle programmation. Ceci est d’autant plus vrai que le parcours est
complexe.
6.3. Construction d’un schème d’utilisation pour le robot
ProBot®
Lors de la dernière séance, chaque enfant devait allumer et
programmer le robot ProBot® pour que ce dernier se déplace en formant
des figures rectangulaires.
Les élèves utilisent le même processus qu’avec le
BeeBot® pour prendre en charge ce nouveau robot. Ils retournent le robot
pour agir sur les deux interrupteurs.
Par la suite, le processus de programmation qui consiste à appuyer sur
la succession des touches « effacer-flèches-GO » est
utilisé, comme en attestent les échanges verbaux dans un groupe
d’élèves :
- Élève 1 : « C'est où
effacer ? »
- Élève 2 : « Il faut peut-être
appuyer sur menu ? »
- Élève 3 : « Maitresse, c'est en
anglais » (La touche effacer est baptisée
« clear » par les concepteurs du robot.)
Le processus doit être adapté à ce nouvel artefact. Il
apparait par la suite une réflexion technique pour découvrir le
fonctionnement du ProBot®. Ainsi, les enfants agissent sur les boutons
représentant des flèches de déplacement puis sur
« GO ».
Le robot se déplace. Après ces premières
découvertes, les investigations se poursuivent vers les fonctions des
autres boutons du pupitre de commande. Après de 2 à 3 minutes de
manipulation, les élèves découvrent qu'il y a des
instructions sur l'écran. Certains pensent qu'il s'agit du
« programme qui est déjà fait ».
L’investigation du ProBot® se poursuit, jusqu’à la
fin de la séance en s’attardant sur les fonctions des boutons de
commande et sur les effets qu’ils produisent sur le robot. Cependant, les
fonctions de chaque bouton ne pourront pas être explorées pendant
cette séance.
L’analyse fonctionnelle mise en place par les élèves
consiste à agir sur un bouton et observer l’effet produit sur le
robot. Les boutons qui sont similaires au BeeBot® sont explorés en
premier. L’affichage des lignes d’instructions sur
l’écran du ProBot® apporte une lisibilité et permet aux
élèves de mieux associer les actions sur les boutons et les effets
sur le robot.
L’analyse de l’activité des élèves durant
les deux premières séances de manipulation et de découverte
du robot BeeBot® met en évidence un schème d’utilisation
avec la mise en place de deux procédures permettant de mettre en
fonctionnement le robot et de le programmer. De plus, l’investigation
menée par les élèves permet de développer une
réflexion technique sur l’objet qui est transférée
pour comprendre le fonctionnement du second robot, le ProBot®. Certaines
similitudes de conception entre les deux robots (pupitre de commande avec des
boutons remplissant les mêmes fonctions, mode de déplacement sur le
sol...) facilitent la prise en main du second par les élèves. De
ce fait, il persiste l’idée que la programmation d’un
déplacement du robot ProBot® se fait uniquement à partir des
flèches de direction comme sur le BeeBot®. Les élèves
ne prennent pas en compte la possibilité de modifier la longueur
d’un pas de déplacement. Ils ne sont pas dans une stratégie
de programmation en explorant plusieurs possibilités mais dans une
stratégie de mise en mouvement et de déplacement du robot. Par
contre, le changement de dénomination de la touche
« effacer » désoriente les élèves.
7. Discussions et perspectives
Cette dernière partie de l’article est
l’occasion de revenir sur les questions de recherche posées et de
discuter des résultats présentés
précédemment. L’analyse des vidéos de moments
scolaires avec la présence de robots programmables permet de
repérer la présence d’une élaboration de
schème d’utilisation par des enfants de 9 et 10 ans. Les processus
d’actions mis en œuvre par les élèves pour utiliser les
robots programmables sont des traces d’une construction mentale
développée pour une utilisation rationnelle.
Le repérage des gestes des élèves et des échanges
dans des moments scolaires ont mis en évidence l’apparition
d’un schème d’utilisation qui a été
transféré d’un objet technique vers l’appropriation
d’un nouveau.
7.1. Développement d’un schème d’utilisation avec
le robot BeeBot®
Les élèves de cette classe de CM1 découvrent
après quelques secondes d’investigation la présence de deux
interrupteurs, placés sous le robot BeeBot®. L’action sur les
deux organes de commandes va leur permettre de prendre en charge le robot. Ce
processus devient immédiatement une pratique systématique qui ne
sera pas remise en question par la suite. Pousser les interrupteurs pour ouvrir
ou fermer le circuit électrique ne soulève aucune
difficulté pour une utilisation du robot même si les fonctions de
ces deux organes de commande ne sont pas discutées en classe. De
même, la présence de deux interrupteurs, et non d’un seul,
pour allumer le robot ne soulève pas de débat dans cette classe.
En reprenant Combarnous (Combarnous, 1984),
il s’agit d’une connaissance coutumière qui s’est
construite et non d’une connaissance fonctionnelle.
Dès la fin de la deuxième séance, le processus
consistant à appuyer sur les touches
« effacer-flèches-GO » se met en place pour
programmer le robot BeeBot®. Ce processus ne peut être dissocié
des contraintes techniques de ce robot. L’appropriation du robot
s’est effectuée après une analyse fonctionnelle de chaque
bouton du pupitre de commande. Le repérage des fonctions a permis
d’identifier la présence d’une mémoire ne permettant
pas de modifier un programme et nécessitant d’appuyer sur le bouton
« effacer » pour en réaliser un nouveau.
Ainsi, la manipulation, l’observation et les échanges dans la
classe à la fin des séances, ont permis aux élèves
de développer une capacité d’analyse en identifiant les
boutons et les interrupteurs de commande. De plus, les actions sur les boutons
du pupitre dans un ordre précis démontrent la construction du
concept de séquence d’instructions.
7.2. Développement d’un schème d’utilisation avec
le robot ProBot®
Les processus manipulatoires développés par ces
élèves avec le robot BeeBot® ont été
déployés pour une appropriation du robot ProBot®. Ainsi, les
deux interrupteurs positionnés sous ce dernier sont actionnés
rapidement, permettant de le mettre en fonctionnement. Le processus consistant
à actionner successivement les boutons « effacer »,
« flèches » puis « GO » est mis
en œuvre. Cependant, la présentation du pupitre de commande du robot
ProBot® diffère du BeeBot®. Les élèves
recherchent donc le bouton effacer qui est baptisé
« clear ». En recherchant ce bouton permettant
d’effacer un programme de la mémoire, l’investigation conduit
les élèves à identifier la présence de lignes de
programme qui apparaissent sur l’écran. Une analyse fonctionnelle
se met alors en place pour faire un lien entre les actions sur les boutons et
les instructions qui apparaissent sur l’écran.
7.3. Culture technique avec des robots programmables
Ces résultats tendent à montrer que l’introduction
d’un artefact nouveau dans une classe conduit les élèves
à acquérir une culture technique. Cette culture ne se
réduit pas à des actions sur des boutons de commande d’un
artefact, elle est également intellectuelle. L’élève
se familiarise avec l’artefact pour se l’approprier,
l’intégrer, le comprendre. L’artefact guide et oriente la
réflexion technique nécessaire à son appropriation de par
ses spécificités et de par sa conception. La rationalité
technique s’inscrit sur deux niveaux. Le premier concerne la construction
et l’installation d’un schème d’utilisation pour
l’appropriation de l’artefact et le second dans la démarche
mise en place pour rechercher et caractériser les fonctions des
différents organes de commande de l’artefact. Le premier conduit
à définir une utilisation principalement centrée sur
l’artefact lui-même, avec ses spécificités, alors que
le second conduit au développement d’une démarche
d’appropriation adaptable pour la compréhension d’artefacts
non familiers. Cette réflexion sur l’artefact, sur son usage, sur
son fonctionnement, sur son appropriation, constitue les prémisses de
l’acquisition d’une culture technique. Néanmoins, la question
de la construction d’une culture technique, en reprenant Séris (Séris, 1994),
n’est pas que technique. Elle ne se réduit pas à
l’acquisition de procédures. Car le rôle de
l’école est de permettre un accès à une
rationalité technique permettant d’« optimiser
l’accession aux techniques actuelles, voire aux techniques imminentes et
futures » (Séris, 1994, p. 147).
La découverte d’objets techniques, par la manipulation libre
dans un contexte scolaire avec une organisation en équipe, contribue
à l’élaboration d’un schème d’utilisation
visant à s’intéresser au fonctionnement des
différents organes qui constituent l’objet. Les résultats
montrent que l’analyse fonctionnelle permet aux élèves de
s’approprier ensuite des objets plus complexes sans dépendre
d’une démonstration de l’enseignant. Ceci est un
résultat important qui montre la capacité des élèves
à s’interroger sur le fonctionnement d’artefacts nouveaux et
ensuite à se les approprier. L’analyse fonctionnelle mise en place,
dans cette classe, consiste à agir sur les boutons de commande et
à observer les actions engendrées sur les actionneurs. Cependant,
la construction d’un schème d’utilisation avec le premier
robot a limité l’investigation des élèves pour la
découverte de nouvelles fonctions disponibles avec le second artefact.
Les élèves se limitent à utiliser les boutons en commun sur
les deux robots sans approfondir les autres boutons.
7.4. Perspectives
D’autres études seraient à mener pour analyser
l’appropriation des robots programmables par les élèves. Les
robots programmables permettent aux élèves de s’interroger
sur leur fonctionnement et leur utilisation. La manipulation collective
contribue à la construction de schèmes d’utilisation mais
pas seulement. Elle permet également la construction d’une culture
technique comme composante d’une culture générale.
Deux axes de recherche sont à développer. Le premier
concerne l’appropriation des artefacts par les élèves dans
une démarche collective. Il serait intéressant d’explorer
l’impact des rôles occupés (troisième composante de la
technicité selon Combarnous (Combarnous, 1984) par les élèves dans les moments scolaires sur la construction
d’une culture technique. Dans les moments scolaires de groupe, où
certains élèves manipulent et d’autres observent, les
activités ne sont pas toujours les mêmes. Ces différences
dans les activités conduisent-elles à la construction d’une
culture technique identique ?
Le deuxième axe est en lien avec le choix des artefacts mis à
disposition des élèves. Différents fournisseurs de
matériel pédagogique proposent des robots de plancher
programmables. Le choix, pour un enseignant, d’un robot n’est pas
neutre. Au-delà des couleurs, des formes et de la constitution (avec la
présence de capteurs ou non et les solutions techniques retenues pour le
programmer etc.) les robots vont permettre aux élèves de se
construire des schèmes d’utilisation différents. Ainsi, quel
est l’impact du choix des artefacts sur les apprentissages ?
Le travail est à poursuivre tant sur l’analyse des
activités des élèves dans la prise en charge
d’artefacts que sur celle des enseignants dans le choix de ces
derniers.
À
propos de l’auteur
Olivier GRUGIER est maitre de
conférences en sciences de l'éducation et de la formation à
l’INSPE de Paris, Sorbonne Université et membre du laboratoire EDA
à l’Université de Paris. Ses recherches actuelles portent
sur les représentations et les processus d’appropriation des
élèves de l’école par rapport aux nouveaux objets
numériques, que les enfants rencontrent et manipulent à
l’école. Elles s’inscrivent à l’articulation
entre la didactique de la technologie et les sciences de l’information et
de la communication. Ses thèmes de recherche concernent les enjeux
didactiques des objets numériques dans les classes, l’appropriation
et la compréhension de ce monde par les élèves dans le
cadre d’un enseignement obligatoire. Il est également expert
international concernant les curricula pour l’éducation
technologique et l’artisanat dans l’enseignement obligatoire en
Afrique mais aussi dans certains pays du continent américain.
Adresse : INSPE de Paris, Sorbonne
Université, 10 rue Molitor 75016 Paris
Courriel : olivier.grugier@inspe-paris.fr
Toile : http://eda.recherche.parisdescartes.fr/olivier-grugier/
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