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Volume 28, 2021
Article de recherche

Numéro Spécial
Les technologies positives
pour l'apprentissage



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Vers une plénitude du potentiel positif des infirmiers(e)-élèves : une étude de cas avec le jeu sérieux CLONE

 

Michel GALAUP (SGRL, INU Champollion, EFTS Toulouse), Hervé PINGAUD (SGRL, INU Champollion), Catherine PONS-LELARDEUX (SGRL, INU Champollion), Pierre LAGARRIGUE (SGRL, INU Champollion)

RÉSUMÉ : Cet article s’intéresse au serious game nommé CLONE (CLinical Organizer Nurse Education) qui vise le développement de compétences organisationnelles des infirmiers(e)-élèves en formation initiale dans les instituts de formation en soins infirmiers. Les situations d’enseignement-apprentissage associées à CLONE ont été conçues pour favoriser l’épanouissement et le bien-être des infirmiers(e)-élèves. La problématique de notre recherche vise à éprouver une méthode d’évaluation permettant de décrire ces situations d’utilisation de CLONE et de mesurer les impacts de l’expérience positive d’apprentissage des infirmiers(e)-élèves utilisant ce serious game.

MOTS CLÉS : CLONE, Serious game, expérience positive, apprentissage, compétences non-techniques, instituts de formation en soins infirmiers

Towards fulfilling the positive potential of student nurses: a case study with the serious game CLONE.

ABSTRACT : This article focuses on the serious game CLONE (CLinical Organizer Nurse Education) which aims to develop nurse-students organizational skills during their initial training. The training situations embedded have been designed from real cases to train students for employment. Our research aims to set up an assessment method, which allows describing different teaching use cases with Clone and assess the impact of Clone as a positive and welcoming learning environment on nurse student’s experience.

KEYWORDS : CLONE, serious game, positive experience, learning, non-technical skills, Evaluation; nursing education institutes.

1. Introduction

Pour développer les compétences organisationnelles dans les écoles d'infirmières, aujourd’hui nommés Instituts de Formation en Soins Infirmiers (IFSI), les enseignants fournissent des exercices sur papier pour former les infirmiers(e)-élèves à organiser leur travail de soignant. Ces exercices proposent un nombre limité de patients (jusqu'à 6 patients) et visent à interpeller les étudiants sur l'organisation d'une journée type en service hospitalier. L'Agence Régionale de Santé (ARS) en Occitanie souligne l'importance d'aider les formateurs des IFSI à enseigner aux infirmiers(e)-élèves comment organiser leur travail lorsqu'ils doivent faire face à plus de 10 patients. D’ailleurs, dès leur prise de fonction il est probable qu’ils aient à assumer la prise en charge d’un effectif pouvant aller jusqu’à 15 patients présents dans le service. Afin de répondre à cette demande, nous avons bâti une collaboration avec cette ARS et avec les IFSI d’Occitanie Ouest. Le projet de conception d’un serious game afin de former les infirmiers(e)-élèves en soins infirmiers à des situations professionnelles est né dans ce contexte. Cet environnement numérique nommé CLONE (CLinical Organizer Nurse Education) que nous présenterons ci-après, permet de développer des compétences de planification, de connaissance de la situation et de prise de décision.

Certes, ce serious game offre la possibilité à l'infirmier(e)-élève de gérer des situations éducatives en fonction des situations réelles, d’organiser sa journée de travail et prendre soin de patients. Néanmoins, face à un environnement numérique complexe, une situation d’échec peut être considérée comme une période de stress pour l'infirmier(e)-élève surtout lorsqu’il est susceptible de se retrouver dans la même situation dès l’obtention de son diplôme d’état. Les conséquences psychologiques peuvent générer des doutes et un manque de confiance. En proposant des expériences positives d’apprentissage adaptées et surtout réalisables, les infirmiers(e)-élèves seront plus confiants quant à leurs capacités et compétences, seront plus optimistes au sujet de leur futur emploi, et peuvent s’habituer à ces pratiques organisationnelles sans risques pour le patient grâce à cet environnement virtuel. C’est cette attitude positive qui encourage nos différentes équipes de recherche à identifier des combinaisons afin que les objectifs du serious game soient réalisables dans les séances de formation proposées.

Dans ce contexte, il est impératif de réaliser précocement une preuve de concept du fonctionnement de CLONE in situ. À ce titre, nous rappelons les objectifs partagés dans l’espace du projet, il s’agit de mettre en place des indicateurs de performance pour juger de la qualité de cette modalité d’apprentissage et des progrès réalisés à l’aide de l’outil pédagogique dans le cadre de ces cas d’usages les plus difficiles (passage progressif de 7 à 14 patients). La finalité est de pouvoir proposer un niveau d’usage du serious game qui va permettre l’épanouissement de l'infirmier(e)-élève, en opposition totale avec l’idée de performance telle que cela peut se comprendre dans un sens commun du terme.

L’approche positive en psychologie vise à étudier ces conditions et les processus qui contribuent au fonctionnement optimal des individus, des groupes, et des institutions (Gable et Haidt, 2005), (Martin-Krumm et Regourd-Laizeau, 2014), (Seligman et Csikszentmihalyi, 2000). Dans cet article, nous explorons cette question de l’étude du fonctionnement optimal (Heutte, 2019) et nous proposons une réponse en mobilisant un paradigme méthodologique permettant d’éprouver les capacités des infirmiers(e)-élèves à mobiliser motivation, ressources cognitives et stratégies nécessaires pour exécuter avec succès les tâches spécifiques proposées par CLONE. La construction d’indicateurs en lien avec le bien-être répond tout d’abord à un objectif de production de connaissances et représente un pari fort au niveau méthodologique pour répondre aux objectifs évoqués infra.

La gestion du projet de recherche est fondée sur un cycle de vie itératif qui rend possible la conception progressive d’un jeu sérieux, s’appuyant systématiquement sur le retour obtenu d’une combinaison d’expériences de validation. Ainsi, nous considérons que pour réussir leurs apprentissages les infirmiers(e)-élèves doivent disposer de la quantité de temps essentielle pour maîtriser les compétences associées à la réalisation des tâches de planification (Carroll, 1963), de l’aide du formateur et de la motivation nécessaire (Bloom, 1974). La planification est difficile pour les infirmiers(e)-élèves quand ils décident de traiter un nombre de patients pour lequel les contraintes de charge de travail deviennent importantes. Le cas le plus délicat est le scénario à 14 patients qui est une cible du projet.

Un des résultats de nos recherches (Galaup, 2013) est que la potentialité dévoluante des environnements numériques pour l’apprentissage ne constitue pas une caractéristique intrinsèque à ces artefacts, mais relève de propriétés émergentes liées aux conditions de leurs usages in situ. Ainsi, pour étudier les expériences positives d’apprentissage des infirmiers(e)-élèves, nous avons conduit dans un premier temps une expérimentation in situ en contexte d’apprentissage réel. Une première analyse effectuée à partir des traces numériques des parties jouées telles que le nombre de victoires, d’échecs et de parties interrompues nous a permis de forger des indicateurs validant un équilibre {tâche - compétences du sujet}. Cette analyse nous a renseignés sur les stratégies et les manières de faire d’apprenants utilisant CLONE. Pour approfondir ces hypothèses interprétatives des usages de CLONE par les apprenants, issus de ces traces numériques, nous avons déployé une analyse qualitative auprès des infirmiers(e)-élèves. Le cadre conceptuel que nous avons élaboré dans nos recherches (Galaup, 2020) passe par une succession d’étapes partant d’une situation ou de savoirs de référence, de leur intégration dans un environnement numérique pour l’apprentissage, jusqu’à leur usage en situation d’enseignement-apprentissage.

Dans cet article, nous parcourons cette chaine transpositive en abordant les trois dimensions {épistémologique - cognitive - didactique}. Ainsi, la première visée consiste à aborder la dimension épistémologique qui est la pierre angulaire du développement de cet environnement numérique pour l’apprentissage. Après ces contours épistémologiques, nous présentons le serious game CLONE. La section suivante présente la méthodologie mise en œuvre prenant en compte les deux autres dimensions, ainsi que le protocole expérimental, puis les résultats obtenus. Dans une discussion, nous revenons sur les données exploitées dans notre analyse, avant de conclure sur la prise en compte de l’approche positive en psychologie dans notre environnement numérique pour l’apprentissage. En guise de conclusion, nous mettrons en perspective quelques pistes de réflexion sur cette recherche.

2. Contours épistémologiques

Les accords de Bologne (1999), relatifs à l’harmonisation de tous les systèmes de formation de l’enseignement supérieur dans la communauté européenne ont contribué à un système d’Unités d’Enseignement universitaire (UE), ce nouveau procédé permet la mobilité des étudiants sur l’ensemble du territoire européen sans frein des instituts de formation. Au terme de huit semestres de formation, les étudiants acquièrent des European Crédits Transfert System (ECTS). Pour atteindre ces objectifs et garantir un déploiement réussi de l’Union Européenne, la déclaration de Copenhague (2002), souligne le renforcement de la coopération en matière d’enseignement et de formation professionnels. Cette collaboration a permis d’arrêter un cadre commun de reconnaissance des compétences techniques et non-techniques, de capacités, afin de mettre en place un système de transfert d’unités capitalisables garantissant les principes de l’assurance-qualité de la formation. Comme beaucoup de formations, les IFSI ont dû s’inscrire dans ce cadre normatif et modifier leur programme. C’est sur ce principe de coopération qu’un groupe d’experts a pu bâtir le nouveau référentiel de compétences de la formation des infirmiers sur la base de l’analyse des situations professionnelles. Ainsi, une quarantaine d’entre elles ont été étudiées, analysées en extrayant pour chacune les savoirs, les savoir-être et les savoir-faire nécessaires à la formation d’un infirmier. Ce travail a permis de décrire les activités du métier, les compétences et les capacités devant être maîtrisées par les professionnels, attestées par l’obtention du Diplôme d’État (DE). Ce travail a également permis d’établir un référentiel de compétences qui est nécessaire pour la qualification dans une profession de santé règlementée et dont l’autorisation d’exercer relève d’un ordre médical. C’est en prenant en compte des profondes transformations du métier et du contexte, sur la base du développement des compétences, que le référentiel de formation a pu ainsi être construit. Ce nouveau référentiel du diplôme d’État d’infirmier (s’articule autour de 10 compétences figurant au Code de la Santé Publique (CSP) :

- 1. Évaluer une situation clinique et établir un diagnostic dans le domaine infirmier ;

- 2. Concevoir et conduire un projet de soins infirmiers ;

- 3. Accompagner une personne dans la réalisation de ses soins quotidiens ;

- 4. Mettre en œuvre des actions à visée diagnostique et thérapeutique ;

- 5. Initier et mettre en œuvre des soins éducatifs et préventifs ;

- 6. Communiquer et conduire une relation dans un contexte de soins ;

- 7. Analyser la qualité des soins et améliorer sa pratique professionnelle ;

- 8. Rechercher et traiter des données professionnelles et scientifiques ;

- 9. Organiser et coordonner des interventions soignantes ;

- 10. Informer et former des professionnels et des personnes en formation.

Les dix compétences de ce référentiel peuvent être réparties en deux grands groupes :

- les compétences techniques centrées notamment sur la réalisation des soins à la personne et sur sa prise en charge (compétences de 1 à 5),

- des compétences plus transversales, non-techniques, relatives à la qualité des soins, la recherche, l’organisation et la coordination des soins (compétences de 6 à 10).

Nous allons préciser notre cadre théorique qui a balisé la conception du serious game support du développement de la compétence non-technique n°9. Il s’agit ici, dans un premier temps, de retenir une définition opérationnelle de la compétence. La compétence a été largement étudiée dans la littérature par de nombreux auteurs (Tardif, 2006), (Ericsson et al., 1993), (Talbot, 2007), (Jonnaert, 2017), (Pastré, 1999), (Le Boterf, 1994). Poumay et ses collègues (Poumay et al., 2017) pointent la complexité autour de la polysémie associée à la notion de compétence ; ce terme reste difficile à définir en raison de différentes interprétations pouvant s’entendre comme une finalité marquant une performance ou un processus qui s’inscrit par rapport à une évaluation. L’objectif n’est pas de prendre en compte la totalité des définitions proposées, mais de revenir sur les plus pertinentes afin de particulariser le discours général sur les compétences et d’identifier quelques pistes qui contribueront à notre problématique. À la suite de Le Boterf, nous retiendrons pour la suite de cet article la définition suivante : « La compétence est la mobilisation ou l'activation de plusieurs savoirs, dans une situation et un contexte donnés » (Le Boterf, 1998).

Cet article s’intéresse plus particulièrement à une compétence non-technique du référentiel de formation infirmière intitulée « Organiser et coordonner des interventions soignantes » (compétence 9). Cette compétence est préalable à la mise en œuvre d’autres compétences, elle est essentielle dans toute activité infirmière. Nous empruntons à Flin et al. (Flin et al., 2008) la définition des compétences non-techniques qui sont pour ces auteurs des « combinaison de savoirs cognitifs, sociaux et des ressources personnelles complémentaires, de savoir-faire procéduraux qui contribuent à une performance efficiente et sûre » (p. 266) Il est aussi à rappeler que pour de nombreux auteurs les compétences non-techniques (ou Non Technical Skills) sont apparues comme des éléments essentiels susceptibles d’expliquer certains dysfonctionnements dans les équipes médicales (Flin et al., 2003), (Flin et al., 2008), (Fletcher et al., 2002), (Tschan et al., 2015), (Yule et al., 2006). Comme nous l’évoquions ci-dessous, le serious game CLONE permet le développement de la compétence n°9 (Organiser et coordonner des interventions soignantes), il a pour objectif de permettre aux infirmiers(e)-élèves en formation initiale de se projeter dans un environnement, dans une situation proche de la réalité. C’est aussi la maîtrise de cette situation simulée qui nous a conduit à aborder le sujet de la simulation en santé que nous traiterons dans le paragraphe suivant.

3. Vers la création d’un serious game pour la formation aux compétences non-techniques

L’arrêté du 26 septembre 2014 modifiant l'arrêté du 31 juillet 2009 (https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000029527714/) relatif au diplôme d'État d'infirmier fait état de la simulation. A l’article 5, le référentiel de formation (annexe lll) a été modifié : dans la partie « Modalités pédagogiques », au paragraphe « les travaux dirigés », les mots « ou en situation simulée » viennent s’ajouter après les mots « à travailler sur des situations cliniques ». De même, à la fin de cette partie, il est inséré un paragraphe définissant la simulation, selon (HAS, 2012), et précisant sa finalité, rédigé comme suit : « La simulation en santé est une méthode pédagogique active et innovante, basée sur l'apprentissage expérientiel et la pratique réflexive (Guide de bonnes pratiques en matière de simulation en santé, HAS, décembre 2012). Elle correspond à l'utilisation d'un matériel comme un mannequin ou un simulateur procédural, d'une réalité virtuelle ou d'un patient standardisé pour reproduire des situations ou des environnements de soin. Le but est de permettre aux étudiants de résoudre des problèmes des plus simples aux plus complexes, soit individuellement soit en équipe de professionnels ». De plus, et à la fin de cette même partie un autre paragraphe apparaît où est définie « la simulation en santé1 selon la Haute Autorité de Santé »
(https://www.has-sante.fr/jcms/c_930641/fr/simulation-en-sante). Un peu plus loin dans ce texte de loi, il est intéressant de relever : « la simulation invite à optimiser le partenariat entre les professionnels des services de soins et les formateurs. Cette méthode promeut une alternance ou méthode complémentaire à l'alternance traditionnelle stages/IFSI. L'étudiant peut en bénéficier soit au sein de l'IFSI soit au sein des services de soins quand elle y est développée. »

Ainsi, pour répondre à cette demande, nous avons créé un environnement numérique pour reproduire des situations, pour développer des compétences non-techniques et permettre de mettre en œuvre des processus, conduisant à des prises de décision relatives à l’organisation, la planification et la coordination des interventions soignantes. Dans la section suivante, nous allons décrire cet environnement numérique et la manière dont nous avons répondu aux différents critères présentés précédemment, permettant de développer la compétence non-technique visée. La réglementation fixe une contrainte sur la mise en œuvre des compétences de soignants prenant leur première fonction, engageant la responsabilité du soignant, elle est résumée par une expression : « jamais la première fois sur le patient » (HAS, 2012). La situation concernée par le texte réglementaire est celle d’un soin dispensé par un professionnel de santé à un patient, souvent désignée par le terme de colloque singulier. En traitant cette compétence non technique, mais qui n’est pas sans être critique, nous proposons d’étendre cette contrainte à l’organisation du travail et de donner du sens à un colloque devenu pluriel. Le professionnel traite alors la prise en charge de l’ensemble des patients qui sont dans son périmètre d’interventions.

4. Le serious game CLONE

4.1. Présentation de CLONE

L’objectif de ce projet est d’aboutir à la réalisation d’un outil de formation capable d’améliorer les compétences non-techniques liées à l’organisation et la coordination des interventions soignantes, grâce à la valorisation des compétences acquises par les experts dans l’exercice de leurs fonctions, et à la capitalisation de leur expérience professionnelle.

Aujourd’hui, selon la fonction choisie, les infirmiers(e)-élèves évoluent dans des lieux de travail différents comme les unités de soins, ambulatoire, domicile, hospitalisation à domicile, Établissements d’Hébergement pour Personnes Âgées Dépendantes (EHPAD), etc. À cela, viennent s’ajouter les problématiques de santé publique et plus particulièrement l’évolution des prises en charge des problèmes de santé dans le cadre de parcours, d’exercices coordonnés, de travail en équipe pluri-professionnelle, avec des prises en charge en ambulatoire, et le recours à la télémédecine. L’ensemble de ces contraintes tendent à faire évoluer leurs modalités d’organisation du travail. D’importants écarts entre les attendus lors de la prise de poste dans un service traditionnel et les capacités de réalisation des activités infirmières lors du dernier stage de formation en troisième et dernière année de formation Infirmier Diplômé d’État (IDE) ont été mis en évidence et jugés critiques. L’étude préliminaire menée par le groupe d’experts composé de l’Agence Régionale de Santé (ARS) en Occitanie et de formateurs répartis dans onze IFSI d’Occitanie Ouest a notamment montré qu’un infirmier(e)-élève diplômé aura été formé pour prendre en charge 3-4 patients alors que, dès sa première prise de poste, il sera amené à prendre en charge entre 12 et 15 patients. Une autre difficulté identifiée concerne la gestion des activités afférentes aux soins (communication, logistique, administration, etc.), qui représentent cinquante pour cent du nombre des activités d’un personnel infirmier. En stage, un infirmier(e)-élève ne prend pas en charge ces activités afférentes aux soins qui restent attribuées à un personnel qualifié. L’infirmier(e)-élève n’est pas non plus mis en situation professionnelle de gérer les imprévus, ni même de déléguer des tâches à l’aide-soignante avec qui pourtant il collabore. Finalement, le groupe d’experts a identifié des difficultés liées à la formation des infirmiers(e)-élèves dans un contexte professionnel réel et sur la base d’un retour d’expérience, il a pointé l’impossibilité pour les infirmiers(e)-élèves en fin de formation de ne pas savoir s’organiser comme ils devront le réaliser en autonomie lors de leur prise de poste.

Le but de la pratique sur CLONE (CLONE, 2018) est l’organisation du travail en équipe et la planification des tâches dans un service clinique d’une capacité maximale de 14 patients. L’environnement virtuel interactif est accessible en ligne et simule l’activité d’un service clinique de médecine générale dans lequel interviennent plusieurs acteurs présents dans la prise en charge des patients : les personnels infirmiers, les aides-soignants, les médecins, les kinésithérapeutes, les brancardiers, les pharmaciens, les assistantes sociales ou les proches des patients. Créé en partenariat avec l’ARS d’Occitanie et des IFSI, le jeu de simulation CLONE a été développé par le Serious Game Research Lab (SGRL) de l’Institut National Universitaire Champollion. CLONE permet de se confronter aux réalités professionnelles dans un environnement virtuel contrôlé et offre la possibilité de travailler des situations d’organisation, de collaboration, et de délégation de tâches. Les scénarios pédagogiques intégrés visent à aider les formateurs à enseigner aux infirmiers(e)-élèves les meilleures pratiques pour définir et planifier leurs tâches quotidiennes face à un nombre croissant de patients sur leur calendrier prévisionnel, à évaluer l’importance des évènements imprévisibles de tous les types de perturbations, pour faire face à un ensemble d’incertitudes relatives aux tâches à accomplir dans un contexte interprofessionnel et évolutif. L’existant est fondé sur des exercices sur papier s’appuyant sur des études de petite taille (3 ou 4 patients) pour développer une capacité à traiter ces problèmes.

Aujourd’hui, il existe très peu d’environnements éducatifs pour les équipes de soins, en raison de nombreuses contraintes et difficultés qui limitent leur développement. Les principales contraintes concernent l’environnement sociotechnique lui-même, qui est un contexte complexe et mouvant. En conséquence, recréer artificiellement les conditions de travail dans un service clinique où plusieurs dizaines de patients sont hospitalisés n’est guère possible dans un véritable lieu d’enseignement. De plus, la discipline de la Recherche Opérationnelle qui se consacre au développement de méthodes pour gérer ces situations d’organisation planifiées, a depuis longtemps souligné la grande complexité du sujet. Ce qui est classé dans la série des travaux sur le Nurse Rostering Problem fait l’objet de pas moins de vingt-deux mille cent références sur Google Scholar (Disponible sur internet).

Il est extrêmement difficile de résoudre efficacement les problèmes concrets en raison de cette complexité. Il devrait donc être plus facile d’enseigner les meilleures pratiques dans un système contrôlé, bien défini et de familiariser l’apprenant au traitement du sujet dans un contexte sécurisé et de haute fidélité. Dans cet environnement virtuel, le joueur incarne le rôle de l’infirmier(e) qui travaille dans le service de médecine virtuel de 6h30 à 13h. Le jeu représente l’ensemble des étapes qui ponctuent le service d’un personnel infirmier. À la prise de poste, après les transmissions de l’infirmière de nuit, l’infirmier(e)-élève doit organiser son travail, le planifier pour la journée et choisir les actes qu’il délèguera à l’Aide-Soignante (AS) (personnage non-joueur dans l’univers virtuel) pour équilibrer la charge de travail. Il devra ensuite réaliser les différentes activités de soins auprès des patients, gérer le quotidien et interagir avec le médecin qui visite le service, le brancardier qui vient chercher un patient, les familles, le kinésithérapeute, etc.

 

Le formateur doit pouvoir choisir un scénario pédagogique dans une bibliothèque composée de plusieurs scénarios réels. La bibliothèque de scénarios doit être composée de situations régulières, ainsi que de situations complexes dans lesquelles des défaillances ou des évènements imprévisibles pourraient se produire ou des erreurs pourraient être commises et corrigées. La figure 1 représente l’interface graphique de CLONE. Nous pouvons y voir notamment les chambres des patients, la ligne temporelle relative à la durée du scénario et l’ensemble des informations à mémoriser.

Figure 1 • Interface du serious game CLONE (Clinical organizer nurse education)

4.2. Les scénarios

Nos travaux en didactique professionnelle (Galaup, 2013), (Galaup et al., 2017), (André et al., 2017), (André et Galaup, 2020) nous ont permis de circonscrire l’activité professionnelle d’un Infirmier Diplômé d’État (IDE) exerçant dans ce contexte. Cela a notamment permis de concevoir des scénarios de 1 à n patients et de pouvoir automatiser leur création. Une bibliothèque de scénarios a ainsi été construite, ces scénarios se composent d’une combinaison de patients virtuels dont les dossiers médicaux ont été conçus à partir de dossiers de patients réellement hospitalisés (Pons-Lelardeux et al., 2020), ces scénarios présentent des niveaux de difficulté variés en phase de conception (par exemple, l’estimation de la durée des activités et le calcul de la charge de travail).

La difficulté résultante à l’issue de la conception de CLONE s’exprime selon plusieurs critères qualificatifs d’un scénario : le nombre de patients, les pathologies associées, le degré d’autonomie des patients, la quantité et la durée des soins requis, les événements imprévus, etc. Ainsi, c’est une quinzaine de scénarios représentatifs qui ont été élaborés en collaboration avec le groupe d’experts. Nous avons choisi d’intégrer des facteurs de variabilité (en présentant des situations variées) et des facteurs de complexité (en pensant à augmenter la difficulté des exercices) dans la formation à la planification des soins en environnement numérique pour l’apprentissage (Pons-Lelardeux et al., 2020).

5. Méthodologie

Dans la continuité de nos travaux (Galaup, 2020), nous abordons dans cette partie la dimension cognitive ; notre objectif est d'analyser l'impact du contenu du scénario pédagogique spécifique sur les conditions et processus qui contribuent à l’épanouissement des infirmiers(e)-élèves au regard de la durée de la session de formation correspondante. Nos travaux antérieurs de recherche en psychologie des apprentissages (Heutte et al., 2014) ont posé la question de savoir comment les serious games pourraient être conçus pour mieux servir les utilisateurs et leur bien-être. En didactique, la visée des recherches menées (Galaup et Amade-Escot, 2014) a été de rendre intelligibles les usages possibles des serious games en situation didactique ordinaire. Dans le prolongement de nos recherches, la méthodologie proposée consiste à éprouver cet environnement numérique pour l’apprentissage in situ, c’est-à-dire en salle de travaux pratiques sur CLONE.

CLONE est actuellement expérimenté en situation de formation auprès des infirmiers(e)-élèves des IFSI partenaires afin de pouvoir analyser la manière dont chacun en fait usage et d’identifier quelles sont les difficultés ou les obstacles d’apprentissage rencontrés, au regard des objets de savoir, des compétences visées et des scénarios proposés. La méthode consiste à utiliser cet environnement virtuel lors de sessions de formation réelles avec un formateur et ses infirmiers(e)-élèves dans un IFSI. Nous identifions les stratégies mises en œuvre et la manière dont les infirmiers(e)-élèves s’ajustent ou s’adaptent au milieu didactique proposé.

Un premier prototype a été expérimenté dans 8 IFSI d’Occitanie avec 868 infirmiers(e)-élèves de 3ème année. Le contexte de l’expérimentation porte sur l’utilisation du prototype dans une séance de formation de 3 heures menée avec un formateur auprès de ses étudiants. La dimension didactique a été prise en compte, une formation de formateurs2 qui ne sont pas nécessairement membres du groupe d’experts, a été dispensée au préalable afin de permettre une familiarisation avec CLONE et un usage pertinent en situation d’enseignement-apprentissage. Lors de l’expérimentation, chaque infirmier(e)-élève dispose d’un ordinateur avec une connexion Internet. Le formateur fait une introduction à CLONE en expliquant le scénario narratif de départ et l’objectif final. Les infirmiers(e)-élèves effectuent une première prise en main d’environ 30 min avec un scénario dans lequel le service hospitalier accueille un seul patient.

Ensuite, ils utilisent un scénario dans lequel le service hospitalier accueille une combinaison de 5 patients. Dans la continuité de nos travaux (Lelardeux et al., 2019), nous essayons d’éprouver dans un premier temps les meilleures combinaisons de durée, de scénario et de paramètres de jeu (dites combinaisons DSP) pour une session de formation dans laquelle les infirmiers(e)-élèves doivent à la fois planifier et réaliser leur travail dans l'environnement virtuel. Cette première étape consiste en une phase de test (proof of concept) où nous vérifions s’ils sont capables de réaliser les tâches offertes par CLONE. Cette étape vise à tester la pertinence de ce serious game et à ajuster les différents scénarios (Pons-Lelardeux et al., 2020) pour trouver une réponse la plus adaptée possible de la combinaison optimale de DSP : i) la Durée de la session de formation parce qu’elle est représentative du challenge proposé à l’apprenant, ii) le type de Scénario utilisé en ce qu’il constitue le vecteur de progression, iii) les Paramètres de jeu (échecs ; victoires ; interruptions). En d’autres termes, les infirmiers(e)-élèves doivent disposer d’une quantité de temps suffisante pour pouvoir maîtriser les compétences nécessaires à la réalisation des tâches de planification en fonction des scénarios proposés (Bloom, 1974), (Carroll, 1963).

Nous détaillons ci-après l’ensemble des données collectées, la façon de les analyser et les représenter. Notre méthodologie repose sur une double analyse, d’une part, une étude qualitative à partir de questionnaires que nous détaillerons ci-après, et, d’autre part, une analyse quantitative des traces numériques du joueur nous permettant de comprendre comment les participants explorent et utilisent CLONE. Cette méthodologie permet de recueillir des données subjectives, via des questionnaires, et objectives via l’enregistrement d’indicateurs numériques, pour rendre compte de la réalité des usages CLONE. Dans le paragraphe suivant, nous présentons les outils de supervision (monitoring).

5.1. L’analyse quantitative

5.1.1. Les outils de monitoring

Comme nous l’évoquions dans l’introduction, nous reprenons la définition du terme « optimal » qui selon Heutte (Heutte, 2019) « fait aussi référence à l’expérience optimale (le flow) : l’émotion et le bien-être procurés par une activité en elle-même, un effet lié au sentiment de fluidité perçu au cours d’une action, lorsqu’il y a un équilibre optimal entre les exigences de la tâche et les compétences du sujet ». Ainsi afin de trouver cet équilibre {tâche - compétences du sujet}, nous avons déployé une méthodologie adéquate permettant de répondre à cette demande à partir du modèle de construction des traces numériques et des évaluations associées (Galaup, 2020).

L’objectif de ce premier travail est de dégager un certain nombre d’interprétations, nous étudions des variables dûment choisies pour analyser si les infirmiers(e)-élèves sont capables de réaliser les activités proposées dans le temps imparti. À la suite de (Gable et Haidt, 2005) à propos de la psychologie positive, nous pensons que l’identification de cette combinaison DSP peut aider à « l’étude des conditions et processus qui contribuent à l’épanouissement ou au fonctionnement optimal des personnes, des groupes et des institutions ». Insistons sur le fait que les variables retenues et présentées dans cet article sont des indicateurs de la valeur de l’apprentissage. Ces variables sont caractéristiques des conditions d’utilisation qui vont faciliter l’expression des potentialités individuelles et du vécu empirique menant à un degré de bien-être satisfaisant. Ce n’est pas nécessairement le succès sur une partie jouée qui est à la source d’un bien-être. Nous pouvons aisément imaginer que ce bien-être pourrait exister dans le cas d’une défaite si la satisfaction d’avoir appris est réelle, en particulier à l’issue de la séance de débriefing que CLONE propose à la fin de chaque partie jouée.

5.1.2. Les résultats

Étudier les caractéristiques des participants à un serious game impose la mise en œuvre d'une observation quantitative afin de rendre compte des usages des apprenants. Nous présentons dans ce paragraphe les résultats de notre évaluation préliminaire ayant contribué à la compréhension didactique des usages de CLONE in situ. Nous rappelons que nous avons proposé sur un même intervalle de temps (3h), un même protocole avec des dossiers patients différents. En collaboration avec le groupe de travail d’experts, nous avons identifié deux groupes de patients. Le premier (groupe 5a) est constitué de patients ayant des pathologies relativement légères. Le deuxième groupe (groupe 5b) est constitué de patients ayant des pathologies plus lourdes avec des soins complexes à effectuer. La charge de travail est donc plus importante pour les infirmiers(e)-élèves car le nombre d’actes de soins est en moyenne plus élevé pour ce second groupe. Rappelons que les scénarios sont en adéquation avec les compétences professionnelles attendues (cf. 2. Contours épistémologiques) et que les activités sont répertoriées en accord avec la nomenclature officielle des tâches de la profession règlementée (Article R4311-5 du code de la santé publique).

L’objectif opérationnel de notre recherche est de proposer une situation d’apprentissage qui contribue à l’épanouissement et au fonctionnement optimal des infirmiers(e)-élèves. Nos précédentes recherches (Pons-Lelardeux et al., 2020) ont mis en lumière une corrélation entre l'acceptabilité et la durée du cours. Lorsque le temps passé sur un scénario n'est pas suffisant pour effectuer les tâches, le sentiment de frustration est élevé ; a contrario, lorsque le temps passé est suffisant ce sentiment disparaît.

Les graphiques des figures 2 et 3 mettent en lumière les trois critères retenus : le nombre d’échecs, de victoires et de parties interrompues. Dans la figure 2, qui correspond à une session d’utilisation de CLONE avec un scénario de 5 patients du 1er groupe (5a), nous constatons 36,9 % de parties interrompues, cela concerne 201 étudiants. Enfin, nous soulignons 16,9 % de victoires, autrement dit de parties terminées par les infirmiers(e)-élèves dans le temps alloué et 46,2 % d’échecs (252 étudiants). Les étudiants confrontés à ce type de scénario ont maîtrisé CLONE à un niveau appréciable. En comparaison, la session correspondant au scénario 5 patients du 2e groupe (5b), en figure 3, rapporte un faible nombre de victoires (2 seulement). Le nombre de parties interrompues est important (178), soit 52,2 %, et un nombre d’échecs (161), soit (47,2 %), presque égal au nombre de parties interrompues.

Figure 2 • Paramètres du scénario 5 patients (5a)

Figure 3 • Paramètres du scénario 5 patients (5b)

Pour la suite, un certain nombre de conclusions peuvent être tirées de cette première expérience. La définition de ces paramètres de jeu (échecs, victoires, interruptions) permet une classification, facilement lisible et exploitable. Pour une session de formation acceptable, ces paramètres valident la combinaison DSP. Ainsi, le suivi et l’analyse de ces paramètres nous conduisent à identifier des situations d’utilisation prototypiques (échecs entre [30 à 50 %] ; victoires [10 à 20 %] ; interruptions [30 à 40 %]).

L’ensemble de ces résultats a conduit à l’élaboration d’une nouvelle expérimentation développée dans le cadre de l’évaluation des usages de CLONE in situ pour le scénario de 7 patients. L’équilibre {tâche - compétences du sujet} semble alors respecté ; en effet, comme représenté en figure 4, pour 114 infirmiers(e)-élèves, nous avons 44,7 % de parties interrompues, 18,4 % de victoires et 36,8 % d’échecs.

Figure 4 • Paramètres du scénario 7 patients

Nous avons réalisé cette évaluation préliminaire et de portée limitée pour ce scénario de 7 patients (cf. figure 4) afin de pouvoir proposer pour la suite une combinaison entre la durée, le scénario et les paramètres de jeu pour une session de formation acceptable. Nous pensons que cela pourra contribuer à l’épanouissement et au fonctionnement optimal des élèves-infirmiers et notamment pour la faisabilité du scénario le plus complexe comprenant 14 patients.

À partir de cette première analyse, nous avons dimensionné une campagne expérimentale suivante en tirant profit de l’expérience acquise auprès des infirmiers(e)-élèves de plusieurs IFSI, en prenant en compte leur point de vue quant à leurs usages pédagogiques de CLONE. Ainsi pour valider ces premières hypothèses interprétatives fondées sur l’analyse des traces numériques, nous avons complété nos travaux par une analyse qualitative que nous développons dans le paragraphe suivant. Nous décrivons les questionnaires, leur mise en œuvre et nous tentons d’en dégager les éléments de compréhension de l’utilisation de CLONE.

5.2. L’analyse qualitative : le questionnaire

5.2.1. Construction de la grille du questionnaire

Un questionnaire a été proposé aux infirmiers(e)-élèves immédiatement à la suite de la séance d’utilisation de CLONE pour obtenir leur ressenti « à chaud ». Les infirmiers(e)-élèves ont été informés de cette recherche, du protocole et du questionnaire par leurs formateurs au début de la séance. Ce questionnaire est utilisé ici comme une méthode d’analyse quantitative dans le cadre des tests d’utilisation de CLONE in situ. Il est à souligner qu’il existe de nombreuses échelles3 permettant de mesurer la satisfaction et l’utilisabilité des outils numériques. À la suite de (Tricot et al., 2003), nous avons retenu pour ce questionnaire une grille qui explore quatre axes {l’utilisabilité - l’acceptabilité - la satisfaction - l’apprentissage}. Dans ces questionnaires, nous avons utilisé une échelle analogique cotée de 1 à 4 (échelle de Lickert). Les échelons vont de « je suis totalement d’accord » à « je ne suis pas du tout d’accord ».

La première partie du questionnaire concerne les références personnelles et professionnelles des apprenants : elle est destinée à caractériser cette population. Les critères retenus pour ce repérage sont l’âge, le genre. Une rubrique sur la catégorie socioprofessionnelle (élève infirmier(e), aide-soignant(e), formateur) permet de repérer les différents secteurs d’activités professionnelles des apprenants interrogés.

La deuxième partie du questionnaire concerne la prise en compte de la facilité d’utilisation de CLONE. Différentes tâches au sein du serious game sont ainsi questionnées du point de vue de son utilisabilité4. Cette partie a pour objectif d’examiner la qualité de l’usage, définie à partir de trois composantes : les facilités de compréhension, d’apprentissage, d’utilisation de CLONE. 

La troisième partie s’oriente vers des questions spécifiques concernant l’évaluation de l’acceptabilité du serious game CLONE. Elles visent à nous renseigner dans un premier temps sur un ensemble de facteurs attachés à CLONE selon l’adéquation avec l’environnement professionnel réel : les propriétés esthétiques, les valeurs professionnelles véhiculées, utilité perçue, parmi d’autres. L’objectif de ces questions est de vérifier que l’utilisateur s’approprie ce serious game, qu’il l’adopte, l’adapte et l’intègre à son activité ; selon (Tricot et al., 2003, p. 396) c’est : « la valeur de la représentation mentale (attitude, opinion, etc. plus ou moins positive) d’un EIAH, de son utilité et de son utilisabilité ». L’acceptabilité est selon ces auteurs la valeur de la représentation de l’utilité et de l’utilisabilité de CLONE pour les apprenants. Selon Dillon et Morris (Dillon et Morris, 1996) cela va avoir un effet sur leur motivation qui les pousse à entrer dans l’activité et à y rester. Une évaluation globale des éléments d'apprentissage les plus attrayants (situations proposées – l’interface graphique/le design – l’environnement virtuel – le concept du jeu – les dossiers patients proposés) est également demandée.

Enfin, la quatrième et dernière rubrique aborde la question didactique, les éléments visent à documenter la composante relative à la question des savoirs et des savoir-faire cristallisés dans ce serious game. L’objectif est ici de recenser les principaux sentiments que rencontrent les apprenants. En effet, nous avons cherché à voir quel est le degré de difficulté rencontré lors du scénario proposé (5 patients). Nous avons aussi demandé si le serious game permettait d’atteindre les compétences non-techniques visées par ce dernier (cf. 2. Contours épistémologiques) notamment en termes d’organisation du travail. Nous recensons également leur perception des objectifs pédagogiques, de la plus-value dans l’apprentissage, de l’observation et du recueil de données cliniques au regard des possibles usages professionnels.

Nous souhaitions connaître leur opinion sur ce dispositif afin de retenir les éléments signifiants à leurs yeux pour pouvoir aussi en tenir compte lors de l’amélioration du dispositif.

5.2.2. Les résultats de l’analyse qualitative

Le recueil de données a été réalisé via des enquêtes en ligne (LimeSurvey). Les résultats produits portent sur plusieurs sessions de formation menées auprès d’une population de 868 infirmiers(e)-élèves IFSI de 3ème année en 2019-2020, en Occitanie Ouest.

Les références personnelles et professionnelles des apprenants

La quasi-totalité des répondants au questionnaire sont des femmes (719) cinq fois plus nombreuses que les hommes (141). La majorité d’entre eux (604) se situent entre 20 et 25 ans (70 %). Ceci dit, il est à noter que 122 infirmiers(e)-élèves sont dans la tranche 25 et 35 ans (14 %) et 85 étudiants sont dans la tranche 35 et 45 ans (9,8 %). Les participants sont presque tous des élèves-infirmiers de 3ème année (98,3 %), certains (5) sont des aide-soignant(e)s qui, par exemple, ont repris les études pour changer de catégorie socio-professionnelle.

L’utilisabilité de CLONE

À postériori, la facilité d'utilisation est bonne, voire excellente, pour 50,9 % des infirmiers(e)-élèves, 41,5 % la trouve moyenne. La prise en main de CLONE est considérée un peu difficile pour la moitié des répondants (52,7 %) et assez facile pour 36,8 % d’entre eux. De même, 59,6 % jugent que la facilité à agir dans l’environnement est correcte et 53,3 % trouvent que CLONE est très intuitif. La moitié des infirmiers(e)-élèves (47 %) ont eu le sentiment d’avoir appris assez rapidement avec ce serious game. Les étudiants (57,5 %) soulignent la difficulté à établir un plan de soins dans CLONE et à équilibrer des charges (54,9 %). Il est à noter que, à la question : « Je pense que j’aimerais utiliser ce système à nouveau », 12,3 % des 868 répondants déclarent être « tout à fait d’accord », 18,5 % « plutôt d’accord », 27,3 % « d’accord » et 24,8 % « plutôt pas d’accord » et enfin 15,5 % « pas du tout d’accord ». Autrement dit, la population interrogée semble majoritairement promouvoir l’utilisation prolongée de CLONE en formation.

L’évaluation de l’acceptabilité

La première question posée aux participants concerne les propriétés esthétiques (graphisme) et l’organisation. Sans détailler toutes les réponses, nous retenons que la majorité des infirmiers(e)-élèves (plus de 80 %) soulignent un bon graphisme agrémenté d’une présentation des membres de l’équipe (aide-soignante, médecin, coursier, équipe de nuit, etc.) adéquate. Nous notons que les répondants déclarent que l’environnement virtuel rend compte de la réalité du terrain : 5,6 % des 868 répondants ont répondu « oui, beaucoup », 46,4 % « oui, modérément », et 33,4 % « non, assez peu » et 12,7 % « non, pas du tout ». De même, plus de 60 % des répondants trouvent que, par rapport à une expérience réelle dans un service d'hôpital, les éléments de CLONE sont réalistes. Parmi ces éléments, nous avons questionné : 1) la composition du service (les patients, l'équipe), 2) l'organisation du service, 3) le rythme de travail, 4) la quantité d’information, 5) la quantité de soins à prodiguer et 6) le nombre d’interruptions.

Abordons maintenant l’étude des conditions et processus qui contribuent à l’épanouissement ou au fonctionnement optimal des répondants. Nous lui avons consacré une analyse particulière, qui s’appuie sur des questions relatives au ressenti qu’ils ont eu par rapport à la réalité, durant la séance d’utilisation de CLONE.

90 % des 868 infirmiers(e)-élèves ont répondu qu’ils ne se sentaient pas stressés lors de l’utilisation de CLONE. À la question suivante concernant leurs sentiments à l’issue de cette séance, ils déclarent être « plutôt détendus » (39,2 %) et « détendus » pour 12 %. Il est à noter que 29,9 % des répondants ne sont « plutôt pas d’accord » et 17 % « pas du tout d’accord ». Nous avons ensuite questionné l’investissement des répondants durant la séance d’utilisation de CLONE. Les participants se sont sentis investis pour plus de la moitié : 46,5 % étaient « plutôt d’accord » et 12 % étaient « tout à fait d’accord », 23,5 % sont « plutôt pas d’accord » et 16 % « pas du tout d’accord ».

L’évaluation de la satisfaction

L’émotion et le bien-être procurés lors de la séance d’utilisation de CLONE sont questionnés ici. 641 des infirmiers(e)-élèves ont ressenti du plaisir, soit 64,9 %, voire beaucoup de plaisir (2,3 %). 24,6 % ont ressenti du déplaisir et seulement 5,3 % soit 52 répondants ont ressenti beaucoup de déplaisir. Toujours dans cette même optique, nous avons demandé leur sentiment à l’issue de la séance. 10,9 % des répondants ont répondu « beaucoup d’agacement », pour 56,1 % de l’agacement, de la satisfaction pour 28,4% des infirmiers(e)-élèves et beaucoup de satisfaction pour 1,6 %. À la question : « Que ressentez-vous lorsque vous êtes en difficulté sur CLONE », 24,4 % des 868 répondants déclarent avoir « la volonté de réussir », 47,9 % « de l’agacement », 5,5 % « de la crainte », 14,4 % du « découragement » et enfin 5 % de « l’indifférence ». Pour terminer cette partie du questionnaire, nous avons demandé aux participants comment ils ont pu gérer les situations proposées : 12 % des répondants déclarent « difficilement », 39,2 % ont répondu « plutôt mal », 44,8 % « plutôt bien », et 1 % « sans difficulté ».

L’évaluation de l’apprentissage

Concernant la partie apprentissage développée dans CLONE, il est important de savoir comment les participants l’ont perçue à travers ses objectifs et son contenu. La première question posée aux participants concerne le jugement du niveau de difficulté des situations proposées dans le scénario. La grande majorité (457) pense qu’elles sont assez difficiles (46,3 %), voire difficiles (28,1 %). Les autres les jugent faciles (10,9 %) et très faciles pour 1,8 %. À la question : « Avez-vous le sentiment que cette séance apporte un bénéfice dans l’apprentissage de la gestion des plannings », la population interrogée semble être partagée entre deux tendances : pour 50,9 %, la perception de l’utilité de CLONE dans l’apprentissage de la gestion des plannings est plutôt faible (faible et très faible) et, pour l’autre moitié (environ 43,8 %), elle est plutôt positive (fort et très fort sentiment d’apprentissage). De même, à la question : « Avez-vous le sentiment que cette séance apporte un bénéfice dans l’apprentissage de la mise en œuvre de l’organisation du travail ? » les avis sont partagés (47,2 % faible et très faible sentiment d’apprentissage) et (47,8 % fort et très fort sentiment d’apprentissage). Plusieurs questions ont ainsi été posées concernant leur sentiment que cette séance apporte une plus-value dans l’apprentissage :

- des soins de confort et de bien-être (45 % d’accord et 49 % pas d’accord) ;

- de l’information et éducation de la personne, de son entourage et d’un groupe de personnes (58 % d’accord et 36 % pas d’accord) ;

- de la surveillance de l’évolution de l’état de santé des personnes (58 % d’accord et 36 % pas d’accord) ;

- des soins et activités à visée diagnostique ou thérapeutique (59 % d’accord et 37 % pas d’accord) ;

- de la coordination et organisation des activités et des soins (72 % d’accord et 24 % pas d’accord) ;

- du contrôle et gestion de matériels, dispositifs médicaux et produit (40 % d’accord et 55 % pas d’accord) ;

- de la formation et information de nouveaux personnels et de stagiaires (64 % d’accord et 31 % pas d’accord) ;

- de la veille professionnelle et recherche (34 % d’accord et 61 % pas d’accord).

Examinons à présent la partie des questions relatives aux savoirs et compétences cristallisés dans CLONE afin de pouvoir accéder à leur expérience d’apprentissage lors de cette formation.

Nous leur avons demandé s’ils pensaient avoir identifié les objectifs pédagogiques visés par le jeu. Une majorité (629) a répondu « oui » à cette question (72,6 %) ; 239 ont répondu « non » à cette question (22,3 %). Nous avons ensuite demandé de classer, de la plus faible à la plus forte intensité, les objectifs d'apprentissage CLONE les plus intéressants selon eux :

- retravailler vos lacunes (faible 40 % - moyen 22 % - fort 32 %) ;

- évaluer vos connaissances (faible 42 % - moyen 26 % - fort 26 %) ;

- consolider vos points forts (faible 32 % - moyen 30 % - fort 32 %) ;

- accroitre votre expérience (faible 32 % - moyen 24 % - fort 39 %).

Un classement des éléments d'apprentissage les plus attrayants a aussi été demandé :

- les situations proposées (faible 32 % - moyen 28 % - fort 34 %) ; L’interface graphique / le design (faible 38 % - moyen 26 % - fort 31 %) ;

- l’environnement virtuel (faible 31 % - moyen 32 % - fort 32 %) ;

- le concept du jeu (faible 24 % - moyen 22 % - fort 48 %) ;

- les dossiers patients proposés (faible 24 % - moyen 25 % - fort 46 %).

Ils ont eu le sentiment d’acquérir de l’expérience dans l’organisation du travail (oui à 55,5 % et non à 45,4 %) et d’acquérir de l’expérience dans la prise de décision (oui à 48,6 % et non à 46,2 %). Pour conclure cette partie, nous avons demandé aux participants s’ils souhaitaient utiliser CLONE à nouveau au sein d’une session de formation : 59,2 % a répondu positivement et 35,6 % négativement. Nous les avons aussi questionnés afin de savoir si le temps proposé était suffisant pour prendre en main CLONE : 376 participants ont répondu oui (43,4 %) et 492 ont répondu non à cette question (51,6 %).

Dans la poursuite de ces travaux, les données que nous venons de présenter ont été croisées et analysées (Pons-Lelardeux et al., 2020). Cela nous a permis de mesurer la corrélation entre l'acceptabilité et la durée du cours. En faisant varier le nombre de patients dans l'hôpital virtuel, nous modifions le contenu pédagogique d'un scénario, le niveau de difficulté et le temps d’utilisation de CLONE5. Nous avons relevé les réussites et les échecs des infirmiers(e)-élèves ainsi que l’acceptabilité6. Les résultats montrent que le sentiment de frustration est plus ou moins élevé selon la difficulté du scénario, le temps d’utilisation, le nombre d’échecs ou de victoires. Lorsqu’un scénario est adapté et réalisable dans le temps imparti, le sentiment de frustration disparaît.

6. Discussion

Dans cette section, nous discutons des résultats obtenus au regard de la question des technologies positives dans les EIAH7. Nous rappelons que l’objectif de notre recherche était de proposer des expériences positives d’apprentissage adaptées et surtout réalisables aux infirmiers(e)-élèves dans le serious game CLONE. L’évaluation préliminaire nous a aidés à trouver un équilibre {tâche - compétences du sujet} réalisable dans le temps de la formation. Ainsi, les combinaisons de patients sont testées et, progressivement, nous nous dirigeons vers le scénario composé de 14 patients. Dans une perspective didactique, cela nous permet de proposer une progression pédagogique réaliste allant du scénario le plus simple jusqu’au scénario le plus réaliste. Il en sera de même pour les cas les plus complexes (14 patients avec des aléas8).

Nous avons recueilli le point de vue des infirmiers(e)-élèves au travers du questionnaire présenté précédemment. Dans la première partie relative à l’utilisabilité de CLONE qui est une caractéristique de la qualité de son usage, les composantes visées (facilité de compréhension - d’utilisation) semblent être évaluées positivement. La facilité de compréhension (obtention des différentes informations, dynamique des situations dans l’environnement) est un des points soulignés. Les participants ne perçoivent pas l’environnement comme complexe et une grande majorité semble vouloir renouveler l’expérience. Ce jugement d’attractivité peut être attribué à la qualité hédonique généré par CLONE, nous pensons ici à la nouveauté et à l’originalité qu’il peut procurer. Cela dit, un environnement numérique hédonique procure du plaisir et donne une sensation de bien-être psychologique, selon Gaggioli et al. (Gaggioli et al., 2017). La première catégorie des technologies positives (visée hédonique) de ce serious game semblerait être respectée.

L’utilisabilité n’étant qu’un des prédicteurs, nous avons abordé l’acceptabilité et notamment un ensemble de facteurs attachés à CLONE : utilité perçue, propriétés esthétiques, valeurs professionnelles véhiculées, etc. Globalement, CLONE est perçu comme ayant de bonnes qualités graphiques, prenant en compte la réalité du terrain. Les professionnels et membres de l’équipe (aide-soignant(e), médecin, coursier, infirmier(e), équipe de nuit), la composition du service (patients, l’équipe) sont bien représentés et sont en adéquation avec les valeurs personnelles et culturelles des infirmiers(e)-élèves ; ces paramètres leur donnent envie d’agir avec CLONE. Dans une moindre mesure, une dynamique identitaire liée aux avatars et à l’univers professionnel créé peut favoriser indirectement les relations interpersonnelles futures et l’intégration sociale (visée sociale) (Gaggioli et al., 2017). Lors de cette expérience, les infirmiers(e)-élèves ne se sont pas sentis stressés, mais plutôt détendus, il est à souligner qu’ils ont déclaré « être investis » dans la séance d’utilisation de CLONE. Cette troisième partie du questionnaire nous conduit à faire un parallèle avec une autre catégorie des technologies positives (la visée eudémonique) (Gaggioli et al., 2017) de ce serious game. Cette catégorie est relative à la capacité à vivre des expériences engageantes, valorisantes et épanouissantes. Il semblerait que pour plus de la moitié des infirmiers(e)-élèves l’expérience vécue soit positive pour eux. La suite du questionnaire relative à la satisfaction confirme qu’ils ont du plaisir à utiliser CLONE. Dans certaines situations (échec, fin de partie, bugs), certains déclarent de l’agacement, de la frustration. Nous avons relevé que ce sentiment était présent lorsque le formateur interrompt la partie alors que les infirmiers(e)-élèves sont presque à la fin.

Un autre point de cette recherche est d’inventorier potentiellement ce que CLONE peut apporter à l’utilisateur en termes d’apprentissage. Les résultats montrent que les avis des infirmiers(e)-élèves sont partagés, ils nuancent l’idée selon laquelle, parce qu’ils sont conçus à partir d’une combinaison de scénarios ludiques et utilitaires, les serious games peuvent répondre seuls aux objectifs d’apprentissage (Galaup et Amade-Escot, 2013), (Galaup et Amade-Escot, 2014). Cela nous a amenés à réfléchir à la dimension didactique (Galaup, 2020) et aux conditions des usages de CLONE in situ. Une formation de formateurs a été déployée pour améliorer l’efficacité de la formation, notamment avec un travail sur la phase de debriefing et la création d’une interface graphique permettant au formateur de visualiser le parcours des étudiants et leurs erreurs. Ces outils permettront au formateur de pouvoir appréhender plus rapidement le travail des infirmiers(e)-élèves et de leur proposer des aides spontanées.

L’identification des obstacles rencontrés lors de cette expérience via CLONE nous a permis de comprendre les erreurs afin de pouvoir les expliciter lors du debriefing.

7. Conclusion

2020 aura sans doute été l’année de l’accélération de la prise de conscience de la transformation numérique. Un des éléments clés contribuant à faire évoluer les modalités d’organisation du travail des infirmier(e)-élèves en IFSI réside dans l’éducation et la formation de demain. De nouvelles approches permettant de reproduire une confrontation aux réalités professionnelles dans un environnement virtuel offrent la possibilité de travailler des situations de gestion, d’organisation, de collaboration, la délégation de tâches. CLONE permet le développement de compétences non-techniques qui sont nécessaires pour surmonter les charges de travail futures. Comme nous l’avons évoqué en introduction de cet article, la potentialité dévoluante de ces environnements numériques pour l’apprentissage ne constitue pas une caractéristique intrinsèque à ces artefacts, mais relève de propriétés émergentes liées aux conditions de leurs usages in situ (Galaup, 2013). Ainsi, dans le cadre de la conception de CLONE, nous avons essayé d’avoir une approche plus centrée sur l'utilisateur afin de proposer un environnement numérique d’apprentissage qui favorise l'épanouissement humain et le bien-être des infirmiers(e)-élèves. Pour une plénitude du potentiel positif des apprenants et de leur expérience positive d’apprentissage avec ce serious game, nous avons mis au premier plan une méthode faisant appel aux sciences humaines et sociales plutôt que des méthodes visant à résoudre les problèmes informatiques. Nous avons fait l’hypothèse que la méthodologie en deux phases réunissant le doublet {traces - questionnaire} était compatible et transposable dans les EIAH et qu’elle pouvait contribuer à la recherche sur les technologies positives pour l’apprentissage. Les résultats de notre étude ont montré la pertinence de ce modèle pour proposer une situation d’apprentissage adaptée et répondant aux impacts émotionnels et motivationnels de CLONE. Cette ingénierie didactique proposée a permis un usage pertinent de CLONE en situation d’enseignement-apprentissage qui a un impact sur la qualité des formations futures et sur l’amélioration technique de CLONE. Dans cette phase de test (« proof of concept »), nous nous sommes focalisés sur l’étude des modalités d’usage de ce serious game, afin de pouvoir comprendre, analyser cette formation et évaluer sa pertinence. Cette phase nous a permis de répondre aux objectifs de notre collaboration, en mettant en place des indicateurs de performance pour juger de la qualité de cette modalité d’apprentissage et des progrès réalisés à l’aide de CLONE dans le cadre des cas d’usages les plus difficiles. Cette étape clé de validation de l’efficacité concrète de CLONE est une étape indispensable pour justifier de la poursuite du développement et pour augmenter les probabilités de réussite du scénario complexe à 14 patients dans les meilleures conditions pour les infirmiers(e)-élèves.

En considérant l’ampleur du phénomène de la conception et de l’usage de technologies numériques pour l’apprentissage, nous pensons qu’il y a un intérêt majeur d’approfondir ces études permettant la compréhension des participants pour améliorer leur bien-être, leurs émotions, leur engagement et leur motivation. Nous avons développé, à la suite de cette recherche, une combinaison de méthodes quantitatives et qualitatives, des expérimentations avec différents scénarios, une graduation progressive des niveaux de difficultés, ouvrant la voie des prémices d’un modèle théorique de l’épanouissement et du bien-être. Le bien-être se jugerait à la confiance de l’individu à avoir progressé dans son apprentissage. S’il n’y a aucun doute sur les situations de succès, et sur une partie des situations d’échec (on peut apprendre de son échec), il est plus difficile de tirer des enseignements sur les interruptions. Les traces relatives à de telles situations doivent être retravaillées en conséquence. L’épanouissement serait le fruit d’une succession de situations de bien-être dans une approche progressive de la difficulté d’apprendre. C’est une dérivée temporelle du bien-être qualifiant la montée en compétences. Cela dit, l’intégration de la technologie positive dans la conception d’un serious game est difficile à réaliser dans les EIAH, notamment parce que cela implique des méthodologies déployées sous l’hypothèse que le produit testé a une certaine maturité, prenant en compte l’individu et ses traces numériques qui sont toujours difficiles à traiter dans un objectif d’analyse d’une expérience positive d’apprentissage.

REMERCIEMENTS

Le travail relaté dans cet article s’inscrit dans un projet de développement et d’évaluation d’un jeu sérieux destiné à optimiser la formation initiale des futures infirmières à l’organisation et la coordination des interventions soignantes dont les partenaires sont l’Agence Régionale de Santé d’Occitanie et l’INU Champollion. Le comité de pilotage est composé d’Élisabeth Souviron (Chef de Projet ARS) ; Catherine Mercadier (Chef de Projet au sein du GIP e-santé Occitanie) ; Veronique Teilhol (Conseillère technique CSS, ARS) ; Alexandra Leprince (e-santé Occitanie) ; Catherine Pons-Lelardeux, Hervé Pingaud, Pierre Lagarrigue et Michel Galaup (INU Champollion-SGRL).

À propos des auteurs

Michel GALAUP est Maître de Conférences (HDR) en sciences de l’éducation et de la formation à l’Institut National Universitaire de Champollion et chercheur à l'UMR « Education, Formation, Travail, Savoirs » (EFTS) à l’université de Toulouse 2 – Jean Jaurès et directeur du Serious Game Research Lab (SGRL). Ses travaux de recherche en didactique portent sur la conception et l'évaluation d’environnements numériques pour l'apprentissage. Michel GALAUP est responsable pédagogique du Master Audiovisuel, Médias Interactifs Numériques, Jeux (AMINJ) parcours Gamification, Apprentissages, iMmersion et ingEnierie de conception (GAME) à l’Institut National Universitaire de Champollion.
Institut National Universitaire Champollion - Place Verdun, 81000 Albi.

Courriel : michel.galaup@univ-jfc.fr

Toile : https://efts.univ-tlse2.fr/accueil/navigation/les-chercheurs/michel-galaup--472670.kjsp?RH=1317804911498#/
http://www.univ-jfc.fr/equipesrecherche/serious-game-research-lab

Hervé PINGAUD est Professeur des Universités en poste à l’Institut National Universitaire Champollion. Son domaine de spécialité est la science des organisations de production de biens et de services de la discipline du Génie Industriel en France. Ses thèmes de prédilection actuels sont la conception et le pilotage des systèmes de santé. Dans ce cadre, il développe des solutions pour l’aide à la décision de tels systèmes, et développe des modèles de représentation de ces systèmes. La valence numérique est très présente dans ses travaux et il a réalisé de nombreux travaux sur la transformation numérique du système de santé. Sa contribution au projet CLONE réside dans la spécification de scénario sur la partie planification initiale et traitement des aléas.

Adresse : Institut National Universitaire Champollion - Place Verdun, 81000 Albi.

Courriel : herve.pingaud@univ-jfc.fr

Toile : http://www.univ-jfc.fr/equipesrecherche/serious-game-research-lab

Catherine PONS LELARDEUX est Ingénieur de recherche en informatique au Serious Game Research Lab (SGRL), en poste à l’Institut National Universitaire Champollion à Albi. Ses travaux sont centrés sur la conception et les métriques relatives à l’évaluation de learning game.

Adresse : Institut National Universitaire Champollion, Place Verdun, 81000 Albi.

Courriel : catherine.lelardeux@univ-jfc.fr

Toile : http://www.univ-jfc.fr/equipesrecherche/serious-game-research-lab

Pierre LAGARRIGUE est Professeur des Universités à l’Institut National Universitaire Champollion à Albi et chercheur à l’Institut Clément Ader LGMT (EA 814) de l’Université Paul Sabatier - Toulouse 3. 

Adresse : Institut National Universitaire Champollion - Place Verdun, 81000 Albi.

Courriel : pierre.lagarrigue@univ-jfc.fr

Toile : http://www.univ-jfc.fr/equipesrecherche/serious-game-research-lab

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1  La simulation en santé correspond « à l’utilisation d’un matériel (comme un mannequin ou un simulateur procédural), de la réalité virtuelle ou d’un patient standardisé, pour reproduire des situations ou des environnements de soins, pour enseigner des procédures diagnostiques et thérapeutiques et permettre de répéter des processus, des situations cliniques ou des prises de décision par un professionnel de santé ou une équipe de professionnels. »

2  71 formateurs ont été formés pour l’année 2018-19.

3 Nous pensons ici à SUMI : Software Usability Measurement Inventory ; SUS : System Usability Scale ; QUIS : Questionnaire for User Interface Satisfaction ; WAMMI : Website Analysis and Mesurement Inventory, SEQUAM : Sensorial Quality Assessment Method ; TAM Technology Acceptance Model, etc.

4 Selon les normes ISO l’utilisabilité est le « Degré selon lequel un produit peut être utilisé, par des utilisateurs identifiés, pour atteindre des buts définis avec efficacité, efficience et satisfaction, dans un contexte d’utilisation spécifié » (ISO 9241-11, 1998, p. 2)

5 Dans cet article le tableau 4 illustre la corrélation entre l'acceptabilité et la durée du cours. Ce tableau éclaire le résultat entre la durée du cours, le type de scénario choisi, le contenu, le nombre d’erreurs et de réussites et l’acceptabilité ou la frustration perçue par les infirmiers(e)-élèves.

6 En didactique nous nous attachons à définir les conditions spécifiques qui permettent de « faire milieu » avec CLONE. En effet, si ce serious game est potentiellement pertinent pour le développement des compétences visées, il reste toutefois à mettre en évidence en quoi et à quelles conditions il peut « faire milieu ».

7 Environnements Informatiques pour l’Apprentissage Humain

8 Parmi les aléas proposés nous avons par exemple : un patient qui refuse les médicaments et souhaite rentrer chez elle car ne se sent pas écoutée par rapport à la douleur. Elle a rassemblé ses affaires pour rentrer chez elle. Elle a prévenu son mari.

Le téléphone sonne ; l’aide-soignante prend l’appel : le mari d’une patiente demande à parler à l’IDE. Il est furieux et mécontent de la prise en charge de sa femme. Elle n’a pas bien dormi et reste douloureuse.

 
Référence de l'article :
Michel GALAUP, Hervé PINGAUD, Catherine PONS-LELARDEUX, Pierre LAGARRIGUE , Vers une plénitude du potentiel positif des infirmiers(e)-élèves : une étude de cas avec le jeu sérieux CLONE, Revue STICEF, Volume 28, numéro 2, 2021, DOI:10.23709/sticef.28.2.4, ISSN : 1764-7223, mis en ligne le 11/03/2022, http://sticef.org
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Mise à jour du 14/03/22