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Volume 28, 2021
Article de recherche



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Une approche dirigée par les modèles pour la conception de générateurs de scénarios adaptés dans un jeu d'apprentissage

 

Pierre LAFORCADE, Youness LAGHOUAOUTA (LIUM, Le Mans Université)

 

RÉSUMÉ : Notre intérêt se porte sur les jeux sérieux d’apprentissage nécessitant des mécanismes d’adaptation au profil de l’apprenant. Nous proposons de traiter plus précisément la génération de scénarios adaptés selon une approche dirigée par les modèles. Celle-ci permet de guider la conception de la génération. Ceci est réalisé par la spécification de différents modèles selon plusieurs perspectives et dimensions. Nous avons appliqué la proposition dans le contexte du projet Escape it! dont le jeu sérieux a pour but de soutenir le renforcement et la généralisation de compétences en performances visuelles pour des enfants autistes.

MOTS CLÉS : Jeux sérieux, adaptation, scénario d’apprentissage, ingénierie Dirigée par les Modèles.

A model-driven design approach for the generation of adapted scenarios in learning games

ABSTRACT : In the context of learning games, we tackle the need of generating adapted learning scenarios according to elements such as the learners’ progress and skills. We propose a model-driven design approach that guides designers and domain experts to specify, as models and metamodels, what has to be generated, what contextualizes the generation, and what information is required from the learning game. We apply it in the “Escape it!” context,  an ”escape-room” game for helping children with autism to learn visual performance skills.

KEYWORDS : Serious game, adaptation, learning scenarios, Model Driven Engineering.

1. Introduction

Les jeux d’apprentissage (learning games) sont des jeux sérieux visant à favoriser un apprentissage spécifique (Marfisi-Schottman, 2019), (Cohard, 2015). Ils connaissent un intérêt accru depuis plusieurs décennies (Vermeulen et al., 2018). Pour que ces jeux d’apprentissage atteignent leur double objectif de plaisir et d’apprentissage il est crucial d’assurer leur utilisabilité et leur acceptation par les apprenants visés. Pour cela, plusieurs principes peuvent être pris en compte : a/ suivre des principes généraux et des bonnes pratiques de conception de jeu (game design), ainsi que des bonnes pratiques d’apprentissage (learning design) ; b/ utiliser des Interactions Homme-Machine appropriées et attractives ; c/ permettre une adaptation dynamique afin d'individualiser et de contextualiser l'expérience de jeu pour chaque joueur-apprenant (Hocine et al., 2011). Les jeux d’apprentissage requièrent ainsi des mécanismes d’adaptation afin que tout ou partie du dispositif, éléments du jeu et/ou de l’apprentissage, puissent être adaptés dynamiquement au contexte (profil d’apprenant, profil de joueur, etc.).

Dans cet article, nous nous intéressons plus particulièrement à la génération dynamique de scénarios de jeu adaptés aux compétences de l’apprenant et aux connaissances sur la composition des niveaux de jeu. La génération d’éléments adaptés permet à la fois de réduire le coût de développement du jeu sérieux et de proposer une plus grande variété d’adaptations aux apprenants/joueurs. Ce que nous considérons comme scénario de jeu correspond à la spécification déclarative d’une session de jeu qui serait interprétable sans ambiguïté par le moteur du jeu : séquence ordonnée des éléments de jeu et de leurs caractéristiques. La réalisation d’une telle génération n’est pas triviale et pose de nombreux problèmes de conception. La spécification de cette génération est centrale. Elle incombe généralement à une équipe pluridisciplinaire impliquant les experts du domaine d’apprentissage visé et/ou des experts de la pédagogie pour les publics cibles spécifiques, et des informaticiens. La question de recherche sous-jacente concerne alors l’aide à l’identification et à la description de la génération en termes de caractéristiques et de fonctionnement.

L’objectif général de notre recherche est d’identifier un tel cadre de conception générique qui permettrait de soutenir la conception de générateurs de scénarios adaptés. Pour cela notre travail de recherche s’inscrit dans le cadre du projet Escape it! qui sera présenté dans la section 2. La conduite de nos recherches s’appuie sur une approche itérative centrée utilisateurs, pour identifier les besoins d'adaptation, et orientée vers l’utilisation des théories et pratiques de la méta-modélisation pour la spécification des éléments impliqués dans le générateur ; la méthode de recherche sera également détaillée en section 2. Nous présenterons ensuite brièvement des travaux connexes abordant la génération de scénarios adaptés et leur conception en section 3. Ensuite, nous présenterons en section 4 notre proposition d’approche de spécification pour la génération de scénarios adaptés. L’application de cette approche au contexte du projet Escape it! fera l’objet de la section 5. La section 6 analysera et discutera la proposition afin d’identifier la valeur ajoutée mais aussi les limites de notre contribution. Enfin, la section 7 conclura cet article.

2. Contexte : le projet Escape it!

L’objectif du projet est de concevoir et de développer un learning game sur mobile (tablettes 10 pouces) pour des enfants autistes. Le jeu doit pouvoir aider au renforcement et à la généralisation de l’apprentissage des compétences de type performances visuelles, définies dans le guide d’évaluation ABLLS-R (Burton et McEachin, 1999) : appariement objet-objet ou objet-image, tri, catégorisation, sériation, etc. Le projet implique des experts et des parents d’enfants autistes.

2.1. Vue générale du jeu d’apprentissage

Le jeu exploite un gameplay minimaliste inspiré des jeux de type escape-room : le joueur doit trouver dans une pièce (lieu de vie) des objets, parfois cachés, et les déplacer vers des zones « solutions », de manière à débloquer l’ouverture de la porte et ainsi accéder au niveau suivant. L’orientation escape-room a été proposée par les experts en TSA (Troubles du Spectre Autistique) impliqués dans le projet. Ils ont considéré que ce jeu pourrait être un intermédiaire intéressant pour aider à généraliser les apprentissages entre les sessions thérapeutiques structurées et la généralisation dans l’environnement naturel de l’enfant tel que préconisé par le modèle d’intervention PRT (Pivotal Response Training) (Koegel et al., 2016). Le jeu sera utilisé par l’enfant, sous la supervision d’un adulte.

La conception du jeu a été réalisée sur la base des bonnes pratiques recensées (Ern, 2014), (Zakari et al., 2014) et à l’aide des recommandations et exigences exprimées par les experts autisme lors des séances de conception participative. Ces séances ne distinguaient pas la conception générale du jeu de la conception plus spécifique de l’adaptation à réaliser. L’objectif général était de réifier dans le jeu les éléments clés des approches comportementales et cognitives qui ont fait leur preuve dans la prise en charge de l’autisme (Burton et McEachin, 1999) : utilisation du renforcement, contrôle des antécédents, guidances et estompages de guidances, façonnement et chainage. Les interactions seront orientées tactiles et la résolution des scènes nécessitera la compétence du glisser/déposer comme prérequis pour l’enfant.

Voici quelques éléments clés issus de ces séances de conception participative :

- Des compétences cibles : un sous-ensemble des compétences de performances visuelles définies dans (Partington et al., 2010) (celles adaptables au gameplay tactile du jeu sur tablette) ; par exemple, apparier un objet à un objet identique, trier des objets similaires, catégoriser des objets selon leurs fonctions communes, etc. 

- Des durées de sessions de jeu variables : le jeu proposera des sessions de 3 à 5 niveaux, au choix de l’enfant.

- Des niveaux prenant place dans des scènes représentant des lieux de vie faisant sens pour l’enfant, groupées en thèmes (par exemple les scènes chambre et cuisine du thème maison).

- Des niveaux de difficulté : la difficulté correspondra à la configuration des éléments de la scène (objets visibles ou cachés, éléments de solution, positions dans la scène, etc.). Elle doit être fixée, pour chaque compétence cible, en corrélation avec la progression des apprentissages de l’enfant. Trois réussites successives visant une même compétence (durant une ou plusieurs sessions de jeu) entraineront l'augmentation de la difficulté pour cette compétence.

- Des scènes variées pour encourager la généralisation des compétences ; il est nécessaire que le jeu propose, pour une même compétence et un même niveau de difficulté, une grande variété de configurations de scènes de jeu. Cela permettra d'éviter la mémorisation de la résolution du problème.

2.2. Vers un besoin de génération automatique

La figure 1 illustre un exemple de scène de jeu (capture d’écran du jeu final) pour la compétence B3 (appariement d’objets identiques) et pour la difficulté « élémentaire ». Deux jouets « dinosaures » doivent être trouvés et placés dans le meuble, à côté de l’exemplaire rangé. Les objets utilisés pour la résolution ainsi que l’emplacement de ces objets peuvent varier : il s’agit d’un exemple de configuration générée pour une scène. Pour d’autres situations ou d’autres niveaux de difficulté, différents décors additionnels peuvent être ajoutés dans la scène, apportant ainsi de nouvelles positions possibles (pour placer les objets) ou des cachettes interactives (placard qui s’ouvre). Des objets inutiles pour la résolution peuvent également être présents.

Figure 1 • Un exemple de configuration des éléments pour la scène BEDROOM-2, le niveau de difficulté ELEMENTARY, et la compétence B3

Dans ce contexte, un scénario de jeu correspond à une séquence ordonnée de scènes dont la configuration des différents éléments est précisée (objets, décors, cachettes, emplacements, etc.). Ces informations (les scènes et leurs configurations) doivent être adaptées au profil de l’enfant (progression dans l’arbre des compétences, niveau de difficulté pour chaque compétence, etc.) et doivent prendre en compte les informations du jeu (l’arbre des compétences, relations entre niveau de difficulté et agencement des scènes, objets disponibles pour chaque scène, etc.). Cette adaptation est nécessaire avant chaque session de jeu. Elle doit être réalisée juste après le choix par l’enfant du nombre de scènes que doit proposer la session de jeu (entre 3 et 5).

Il serait trop coûteux de développer toutes les combinaisons possibles de configurations pour les scènes. La réalisation du jeu d’apprentissage requiert une génération dynamique de sessions de jeu adaptées au profil de chaque enfant.

2.3. Méthode de recherche

La conception d’un tel générateur (conception au sens du génie logiciel, c.-à-d. de l’analyse des besoins à l’utilisation en passant par l’implémentation informatique) est complexe et pose de nombreux problèmes de spécification et de mise en œuvre. Quels éléments doivent être identifiés et explicités ? Comment doivent-ils être spécifiés ? Comment peuvent-ils être concrètement exploités pour réaliser la mise en œuvre effective de l’adaptation ? Pour autant, l’identification et l’explicitation des éléments constituant la génération adaptée et son fonctionnement est primordiale. Elle incombe généralement à une équipe pluridisciplinaire impliquant, en plus des informaticiens, les experts du domaine d’apprentissage visé et/ou des experts de la pédagogie pour les publics cibles spécifiques. La question de recherche que nous avons souhaité aborder est celle-ci : quels moyens existent, ou sont à proposer, pour soutenir l’identification et la description du fonctionnement de la génération adaptée ? Nous émettons la double hypothèse qu’il est possible de proposer un cadre général pouvant guider cette activité d’identification et de spécification, et qu’une approche incluant une spécification par méta-modélisation offrirait une valeur ajoutée pour la conception du générateur (l’un des composants logiciels du jeu d’apprentissage).

Notre objectif général de recherche est d’identifier un tel cadre de conception générique d’aide à la conception de générateurs de scénarios adaptés. Pour cela, nous avons suivi une approche itérative centrée utilisateurs dans le cadre du jeu Escape it! pour identifier à la fois des informations pour la conception générale du jeu et des informations sur les caractéristiques et le fonctionnement attendu du composant réalisant la génération adaptative. En parallèle, nous avons réalisé un état de l’art des approches existantes (décrit dans la prochaine section). Certains de ces travaux nous ont orientés vers la conception d’une approche de modélisation dédiée à capturer et spécifier les éléments en jeu dans la génération adaptée. En relation avec notre hypothèse, nous avons orienté la spécification des modèles vers les théories et pratiques de l’Ingénierie Dirigée par les Modèles. L’identification de cette approche et son application au cas d’étude ont été concomitantes. Toutefois, les sections suivantes présenteront séparément la généralisation de l’approche (la contribution) et son application dans le contexte du cas d’étude (comme illustration de l’application de l’approche).

3. État de l’art

3.1. Adaptation dans les EIAH et jeux sérieux

Bien qu’il n’y ait pas de définition officielle, l’adaptation dans les EIAH correspond à la définition générale suivante pour l’adaptation : action/activité d’ajuster tout ou partie d’un système en vue de le rendre adapté à quelque chose. Dans un système EIAH, la finalité est généralement d’adapter les décisions pédagogiques aux compétences et besoins particuliers de chaque apprenant. Il s’agit d’automatiser tout ou partie de l’adaptation des décisions pédagogiques en se basant notamment sur le traitement algorithmique des données récoltées dans le parcours des apprenants. L’adaptation peut être réalisée, pour tout ou partie, par un acteur humain ou bien par la machine.

On peut trouver dans la littérature des mentions à des adaptations pour des types spécifiques d’EIAH, comme les hypermédias (Brusilovsky, 1998) ou les jeux d’apprentissage (Peirce et al., 2008). Ces systèmes promettent de prendre en considération le profil de l’apprenant (ses connaissances, ses préférences, ses aptitudes, ses émotions, sa motivation, etc.) dans la construction d’un parcours pédagogique unique et adapté.

La finalité de l’adaptation en EIAH est d’optimiser l’apprentissage pour chaque apprenant en tenant compte de l’hétérogénéité des profils. Toutefois les adaptations considérées peuvent avoir des objectifs plus précis (Mandin et al., 2015) : personnalisation de l’apprentissage (l’apprenant est dans une situation adaptée à ses capacités, attentes et besoins), individualisation de l’apprentissage (l’apprenant est en autonomie face à ce qu’il apprend), réaction aux comportements ou aux questions de l’apprenant pour le conseiller, expliquer, justifier, ou lui proposer des moyens de remédiation, etc.

Dans le contexte des jeux sérieux, comme de manière générale, l’adaptation peut être caractérisée par sa cible (ce qui sera adapté), par la source (à quoi sera adaptée la cible), ainsi que par les techniques employées (Vandewaetere et al., 2011). Des états de l’art ont été réalisés pour caractériser ces différents éléments (Zniber et Cauvet, 2005) (Hocine et al., 2011). Pour (Hocine et al., 2011), les différentes cibles ont trait à la présentation, au contrôle ou au contenu tandis que les sources concernent majoritairement le modèle utilisateur et les paramètres systèmes. Les modèles d’adaptation peuvent être implicites (dans le code) ou explicites (machines à états, règles logiques, etc.).

3.2. Génération de scénarios adaptés

L’adaptation de scénarios dans les jeux sérieux est souvent abordée en considérant des scénarios de jeux narratifs et interactifs (Delmas et al., 2007) (Janssens et al., 2014) (Sina et al., 2014). La notion de scénarios est variable selon les contextes. Si l’on considère la définition proposée par (Lopes et Bidarra, 2011), « the global progression within a game level, its initial settings and the logical flow of events and actions that follow », nous pouvons remarquer que le scénario à générer dans le projet Escape it! correspond à cette notion de configuration initiale des différents niveaux de la session de jeu, mais sans les flux d’événements ou d’actions, car le jeu visé n’implique pas d’événement scripté.

La réalisation de l’adaptation peut être réalisée de différentes manières (Hocine et al., 2011). Il peut s’agir d’adaptation par génération, d’adaptation par sélection d’éléments, d’adaptation par extension ou par ajout à des éléments existants, etc. Souvent, le terme de « génération d’éléments adaptés » désigne plus largement le fait que les éléments cibles seront adaptés « par construction » et non par adaptation d’éléments sources non adaptés.

Dans (Bielikova et al., 2008), les auteurs ont proposé un système de génération de contenu contrôlé par des enseignants. Ces derniers sélectionnent des objets de jeu pré-créés, leur ajoutent du nouveau contenu d’apprentissage et les associent entre eux. Dans notre contexte, l’implication des experts n’est pas nécessaire pour chaque adaptation. En revanche la connaissance des objets manipulables disponibles pour chaque scène, de leurs relations vis-à-vis des compétences-cibles possibles, de leurs relations avec les objets-solutions, semble être une base nécessaire pour générer des configurations de scènes appropriées. De telles connaissances devraient être spécifiées de manière à les rendre exploitables par l’activité d’adaptation tout en facilitant l’implication des experts dans leur expression.

Plus proche de nos préoccupations, les travaux présentés dans (Sehaba et Hussaan, 2013) et (Sehaba et Hussaan, 2014) proposent une architecture générique pour personnaliser un scénario de jeu sérieux en fonction des compétences de l’apprenant et de ses traces d’interaction (Hussaan et Sehaba, 2016). L’architecture a été proposée dans l’objectif de développer un jeu sérieux pour l’évaluation et la rééducation cognitives. Cette architecture est organisée en trois couches : concepts du domaine, ressources pédagogiques et ressources du jeu sérieux. En complément, leur proposition consiste à générer trois scénarios successifs (conceptuel, pédagogique et de jeu) en relation avec les couches précédentes. Pour la mise en œuvre concrète, des techniques de représentation et de manipulation d’ontologies sont utilisées. Toutefois peu d’informations sur la spécification des règles de génération sont données, car l’intérêt des auteurs était davantage porté sur l’analyse des traces d’interactions de l’apprenant et la mise à jour de son profil.

Hormis ces rares propositions, peu de travaux de recherche s’intéressent à l’aide à la conception de générateurs de scénarios, que ce soit en proposant des approches, des architectures ou un cadre de travail.

3.3. Synthèse

L’adaptation et la génération ont déjà été historiquement traitées pour de nombreux autres dispositifs que les jeux d’apprentissage (comme les tuteurs intelligents, les hypermédias, etc.). Pour autant, la plupart des travaux portent davantage sur la modélisation des informations sources (explicitation, spécification, exploitation, etc.), incluant le profil de l’apprenant, que sur la modélisation de la cible et de son obtention. Ces travaux, loin d’être négligeables, nécessitent des activités spécifiques pour l’identification et la mise à jour des modèles (collecte de traces, analyse des traces, modification des ressources ou des profils, etc.).

La modélisation de la cible et son obtention ne sont abordées que sous l’angle purement informatique, au sens de la mise en œuvre effective de l’adaptation. Les activités d’explicitation, de spécification, d’exploitation des éléments cibles et des moyens d’adaptation (règles par exemple) sont rarement abordées ou bien seulement au niveau ad hoc du contexte de l’EIAH considéré dans les travaux. Pour autant ces éléments ne peuvent pas être modélisés sans relation avec les modèles sources.

4. Positionnement et proposition

4.1. Positionnement

Notre souhait, au travers du projet Escape It, est d’étudier la possibilité de faciliter la conception d’un générateur de scénarios adaptés. Ceci nécessite donc de prendre en compte l’explicitation, la spécification, et l’exploitation des éléments interdépendants des cibles, des sources et des moyens d’adaptation. Le projet offre un contexte spécifique pour étudier ces éléments et faire une proposition, si possible, générique. Dans ce but nous avons caractérisé finement l’adaptation considérée dans le projet dans le tableau 1.

Tableau 1 • Caractérisation de l’adaptation visée dans le contexte du projet

Contexte général

Public apprenant

Enfants autistes

Discipline ou domaine didactique

Compétences visuelles (référentiel ABLLS-R)

Connaissances ou compétences visées

Tri, catégorisation, sériation, assortiment...

Type d’apprentissage

Renforcement et généralisation des acquis

Approche pédagogique

Comportementalisme

Méthode pédagogique

Méthodes comportementales ABA

Dispositif informatique

Jeu sérieux d'apprentissage

Contexte d’usage du dispositif

Institutionnel

Aucun

Spatial

N'importe où

Temporel

N'importe quand

Matériel

Tablette tactile 10"

Objectif de l’adaptation (pour quoi)

Intention de l’adaptation

Pour l’individualisation de l’apprentissage

Moment de l’adaptation (quand)

Déclencheur

À l’initiative de l’apprenant lorsqu’il choisit le nombre de scènes de jeu que devra proposer le scénario de la session de jeu

Instant

Pendant l'utilisation du dispositif

Cible(s) de l’adaptation (quoi)

Catégorie de l’adaptation

Contenu au sens de (Hocine et al., 2011)

Élément adapté

Scénario d'activités (au sens séquence linéaire des configurations initiales des différentes scènes de jeu à résoudre)

Source(s) de l’adaptation (en fonction de quoi)

Sources en relation avec l’apprenant

Compétences, progression dans les niveaux de difficultés, nombre de niveaux souhaité

Sources en relation avec l’environnement

Aucune

Éléments participant à la réalisation de l’adaptation (avec l’aide de quoi)

Éléments de connaissances

Informations sur les thèmes et les scènes du jeu, composants d’une scène de jeu, informations sur les compétences visuelles

Focus sur l’adaptation (comment)

Niveau d’automatisation de l’adaptation

Tout automatique

Moment du feedback du résultat à l’apprenant

Dès que l'adaptation est réalisée

Approche générale de réalisation de l'adaptation

Génération ex nihilo

En prémisse d’une solution générique d’aide à la conception nous proposons de distinguer les sources de l’adaptation des autres éléments participant à la réalisation de l’adaptation. Ils participent tous aux éléments que l’adaptation doit prendre en compte, mais les « sources » correspondent à ce que l’adaptation doit prendre en compte en premier lieu pour que la cible soit adaptée (la cible est adaptée en fonction de la source) ; les autres éléments, que nous proposons d’appeler « éléments de connaissances », sont utilisés par l’adaptation sans la diriger (la cible est adaptée en fonction de la source et à l’aide des éléments de connaissances). On peut considérer que lorsque l’activité d’adaptation est mise en œuvre, les sources varient régulièrement tandis que les éléments de connaissances restent globalement inchangés. Ces éléments correspondent à ce que la littérature appelle parfois « modèle du domaine », « modèle du jeu », « modèle de la tâche », « modèles des ressources », « modèles d’apprentissage », etc. (Zniber et Cauvet, 2005).

Nous proposons également de distinguer deux types de sources, bien que cette distinction n’aboutisse pas à des exemples concrets dans le cas d’étude du projet Escape it! : les éléments en relation avec l’apprenant et les autres éléments contextuels en relation avec l’environnement de l’apprenant.

Notre objectif est de proposer un cadre de modélisation qui facilite la conception de générateurs de scénarios. Les concepteurs pourront se doter de ce cadre afin d’identifier les éléments nécessaires et de les spécifier de manière inter-reliée. Le cadre proposé garantira également que cette modélisation informatique générique (c.-à-d. sans choix technique spécifique pour réaliser l’adaptation) sera exploitable pour faciliter, voire permettre, la mise en œuvre effective de l’adaptation.

4.2. Cadre de référence pour les besoins de modélisation

L’Ingénierie Dirigée par les Modèles (IDM) (Jézéquel et al., 2012) est une forme d’ingénierie générative proposant une démarche par laquelle tout ou partie d’une application informatique est générée à partir de modèles. En contrepartie, ces modèles doivent être rendus explicites et suffisamment précis pour être interprétés ou transformés par des machines. Le processus de développement peut alors être considéré comme un ensemble de transformations de modèles prenant des modèles en entrée et produisant des modèles en sortie, jusqu’à obtention d’artefacts exécutables. Le méta-modèle est alors l’entité concrétisant informatiquement le contexte de modélisation pour la conception et la manipulation des modèles. Il est l’abstraction du langage de modélisation (syntaxe, grammaire et sémantique) des modèles. On considère alors que le modèle est conforme à son méta-modèle.

L’IDM offre à la fois un cadre théorique (modèles, méta-modèle, langages, transformation, composition, vérification de modèles, etc.) mais également des techniques et des outils matures (les écosystèmes exploitant les formalismes Ecore ou bien Epsilon par exemple) qui ont déjà été utilisés pour la conception de langages de scénarisation graphiques (Laforcade, 2010) ou pour l’implémentation de scénarios dans des LMS (Loiseau et al., 2017).  Le caractère semi-formel des modèles au sens IDM leur permet à la fois d’être manipulables par les acteurs impliqués (modèles pour concevoir – au sens large et non informatique) mais également d’être interprétés par la machine pour la réalisation de diverses tâches (modèles pour construire).

L’IDM permet de spécifier la description concrète du jeu, le profil de chaque apprenant, les éléments du jeu, etc. (les différentes « sources » et « éléments de connaissances ») en tant que modèles. La « cible » de l’adaptation (le scénario) est alors également un modèle mais celui-ci n’est pas connu à l’avance : il est le modèle en sortie d’une « transformation de modèles » (Kurtev, 2005) dont les modèles précédents sont les modèles en entrée. Ces modèles en entrée nécessitent également d’être accompagnés de leurs méta-modèles respectifs. Ces méta-modèles capturent à un haut niveau d’abstraction les éléments, propriétés et relations qui permettent de spécifier les modèles. Ils correspondent ainsi à décrire par exemple les composantes du profil générique de tout apprenant ou à décrire la structure du scénario à produire.

L’IDM propose un cadre exploitable pour satisfaire les besoins de spécification à l’aide des modèles et méta-modèles et les besoins de mise en œuvre à travers l’ensemble d’outils et approches traitant de la transformation de modèles. Pour autant, la méta-modélisation est une activité subjective qui requiert des compétences spécifiques. Elle ne propose pas de guidage pour aider à identifier les « bons » éléments de l’adaptation. Il faut donc une proposition répondant à ce besoin.

4.3. Une approche 3x3x2 de spécification pour la génération de scénarios adaptés

Nous proposons une approche qui permet d’appréhender la conception de la génération de scénarios adaptés (Laforcade et Laghouaouta, 2018). Elle s’appuie sur 3 perspectives incrémentales pour le scénario à générer, 3 dimensions de spécification des éléments sources et de connaissances du domaine, et 2 niveaux d’abstraction (modèle et méta-modèle) (cf. figure 2).

Les trois perspectives permettent de décomposer le problème de la conception de la génération en différentes étapes itératives et incrémentales, chacune appréhendant un point de vue spécifique mais complémentaire sur la cible de l’adaptation, c.-à-d. le scénario adapté à générer. Ces perspectives sont inspirées de la proposition de (Sehaba et Hussaan, 2014).

- Objectifs du scénario : sélection ordonnée d’objectifs d’apprentissage (compétences ou connaissances selon le contexte), parmi ceux disponibles, en fonction de leur pertinence avec le contexte de la génération. Dans le projet Escape it!, cette perspective permettra de sélectionner les compétences visuelles concernées pour chacun des différents niveaux de la session de jeu, sur la base des compétences abordées, de leurs relations avec le profil de l’apprenant et en fonction de la progression concrète de l’utilisateur concerné.

- Structure du scénario : sélection ordonnée des exercices d’apprentissage ou des composants, à gros-grain, de jeu et d’apprentissage, en fonction des objectifs d’apprentissage fixés dans la perspective précédente. Dans Escape it!, cela correspond, entre autres, au choix des « thèmes » et des « scènes de jeu ».

- Caractéristiques du scénario : sélection des éléments additionnels qui participeront à préciser finement chaque élément structurel de la perspective précédente, en fonction également des objectifs fixés. Dans Escape it!, cela concerne la spécification détaillée de chaque scène de jeu, c.-à-d. toutes les informations requises (décors, objets, emplacements, etc.) par le moteur du jeu pour configurer une situation à résoudre.

Figure 2 • Approche de conception 3x3x2 proposée

Le scénario final généré sera alors composé de ces trois perspectives complémentaires (cf. les relations visibles entre les 3 scénarios dans la Figure 2, coin inférieur droit). Pour chacune de ces perspectives, itérativement en commençant par la perspective « objectifs », nous proposons de considérer trois dimensions complémentaires pour décrire les différents éléments en jeu dans la génération :

- Les éléments à générer, c.-à-d. la cible, le scénario adapté ;

- Les éléments contextuels, c.-à-d. ce qui est spécifique au contexte de la génération, décrit comme « sources » de l’adaptation dans le tableau 1 ; par exemple, une partie du profil de l’apprenant et des informations contextuelles à la demande de génération de scénario ;

- Les éléments décrivant le jeu d’apprentissage, c.-à-d. ce qui est spécifique au jeu d’apprentissage et qui est donc commun et partagé par toutes les générations qui seront réalisées (décrit comme « éléments de connaissances » de l’adaptation dans le tableau 1) ; par exemple, les objectifs concrets, les activités ou exerciseurs disponibles, les éléments de configuration, etc.

Enfin, pour chaque perspective et dimension nous proposons de décrire les éléments en jeu selon deux niveaux d’abstraction :

- Le niveau méta-modèle capture les éléments, propriétés et relations qui définissent les concepts et contraintes pour assurer la conformité des modèles ;

- Le niveau modèle spécifie les informations concrètes nécessaires au générateur.

Il est important de noter que le modèle correspondant au scénario à générer n’est pas spécifié avant la génération mais est bien produit en sortie de la génération. En revanche, le modèle du contexte (incluant une partie du profil de l’utilisateur) concerné par la génération est un modèle en entrée fourni au générateur. Les modèles décrivant le jeu d’apprentissage sont aussi des modèles en entrée. Le générateur exploite ces modèles du jeu pour l’ensemble des générations réalisées alors que le modèle du contexte peut varier.

La proposition est illustrée par la Figure 2. Les relations de conformité entre modèles et méta-modèles sont représentées, ainsi que les relations de référence entre les modèles et les méta-modèles. On peut remarquer l'importance des modèles et des méta-modèles de description du jeu d'apprentissage qui ont un rôle central dans la conception, car ils sont référencés par les autres modèles et méta-modèles.

Le générateur prendra en compte tous ces éléments pour réaliser concrètement la génération (cf. figure 3). Le modèle du contexte lui sera fourni par le jeu d’apprentissage et sera différent entre deux appels au générateur tandis que le modèle du jeu et les 3 méta-modèles seront fixes et déjà connus du générateur. Ce dernier chargera les modèles et les manipulera, ainsi que les méta-modèles, afin de produire le modèle du scénario. Ce dernier sera retourné au jeu d’apprentissage.

Figure 3 • Vue fonctionnelle du générateur

4.4. Un peu de méthode complémentaire

Ce cadre de spécification exige explicitement que soient considérées les perspectives dans l’ordre Objectifs > Structure > Caractéristiques. Il ne contraint pas en revanche l’ordre dans lequel les 3 dimensions doivent être appréhendées même s’il semble a priori raisonnable de proposer de spécifier en premier lieu le méta-modèle du scénario à générer et la partie du méta-modèle des éléments du jeu qu’il nécessite, pour ensuite spécifier le méta-modèle des éléments de contexte et la partie du méta-modèle des éléments du jeu associée. Ceci permet en effet de garantir que le méta-modèle des éléments de jeu ne décrit que ce qui est nécessaire pour la spécification des autres méta-modèles. De manière similaire, s’intéresser à spécifier uniquement les éléments du méta-modèle de contexte utiles dans les décisions de génération du scénario cible réduit le risque de spécifier des informations qui ne seront pas exploitées par la suite.

Aussi, il est intéressant de préciser que la spécification ne concerne pas seulement les méta-modèles, mais peut également concerner la spécification du modèle des éléments de jeu. En effet, les informations qu’il capture sont également facilement identifiables et explicitables ; elles sont identiques pour l’ensemble des adaptations à réaliser, car indépendantes des sources contextuelles. En ce qui concerne les modèles de contexte, il est toutefois possible d’en spécifier autant que de cas souhaités pour tester la génération (ils peuvent être considérés comme des « jeux de données »).

4.5. Validation de la proposition

La contribution est une approche de conception d’un générateur de scénarios adaptés dans un jeu sérieux. Elle se focalise sur la spécification de modèles et méta-modèles pour guider la conception et faciliter la mise en œuvre du générateur. Comme il ne s’agit pas encore d’une méthode d’aide à la conception bien définie, il convient dans un premier temps d’appliquer l’approche pour vérifier qu’elle produit effectivement des modèles pertinents et utiles pour guider la conception. La prochaine section y est consacrée. Bien que la mise en œuvre effective du générateur puisse être réalisée informatiquement de diverses manières, nous présenterons également dans le contexte du projet Escape it! comment les modèles produits ont été exploités pour faciliter cette mise en œuvre et ainsi étudier la pertinence et l’utilité de l’orientation IDM pour la spécification des modèles.

5. Application au projet Escape it!

Cette section présente le résultat de l’application de l’approche 3x3x2 pour la spécification de la génération envisagée dans le contexte du projet Escape it!. Les prochaines sous-sections correspondent aux trois perspectives de l’approche. Pour chacune, nous présentons tout d’abord la description textuelle des éléments à considérer, à commencer par les éléments à générer qui dirigent l’analyse. Toutes ces informations sont issues des séances de conception collaborative que nous avons eues avec les experts autisme du projet. Il est important de noter que les exemples de modèles de scénario adaptés sont obtenus par génération grâce au composant logiciel dédié, le générateur, dont la mise en œuvre est abordée dans la section 5.4.

5.1. Perspective « Objectifs »

5.1.1. Explicitation des éléments

Le tableau 2 synthétise la description des éléments en jeu par dimension pour la perspective des objectifs. Il est intéressant de noter que l’expression des trois dimensions permet également de relever des règles de génération et d’adaptation. Ces règles ne peuvent pas être capturées par les trois dimensions car elles ne décrivent pas les données en entrée et en sortie de la génération mais la manière dont celle-ci devra fonctionner.

Tableau 2 • Éléments en jeu pour la perspective des objectifs

Éléments à générer

- les N compétences (ordonnées) à viser par chacun des N niveaux de la session de jeu
- le niveau de difficulté pour chacune de ces compétences

Éléments descriptifs

- l’arbre des compétences visuelles, par lien de prérequis
- les 5 niveaux de difficulté (débutant, élémentaire, intermédiaire, avancé, expert)

Éléments contextuels

- nombre de niveaux à générer N (choisi par l’apprenant, entre 3 et 5)
- les compétences qui concernent l’enfant (certaines sont peut-être à exclure)
- pour chaque compétence concernée : niveau de difficulté actuel et progression dans la difficulté courante

Règles de génération et d’adaptation

- le scénario doit avoir autant de compétences visées que le nb de niveaux souhaité par l’apprenant
- chaque compétence visée doit correspondre à une compétence, en cours d’acquisition, pour l’apprenant, dont les compétences de prérequis sont au moins au niveau de difficulté intermédiaire
- si possible, les compétences visées doivent être toutes différentes
- le niveau de difficulté de chaque compétence sélectionnée est identique à celui du profil

5.1.2. Spécification des méta-modèles

Les informations collectées pour les trois dimensions peuvent alors être spécifiées (le plus formellement possible, au sens informatique du terme, c.-à-d. avec le moins d’ambiguïté sémantique pour un futur traitement machine). Le méta-modèle peut être considéré comme la représentation de la structure des modèles et des éléments composant ces modèles. Il permet la manipulation machine des modèles qui lui seront conformes.

Figure 4 • Représentation graphique des 3 méta-modèles correspondant aux 3 dimensions pour la perspective des objectifs

La figure 4 est une représentation graphique des trois méta-modèles correspondant aux 3 dimensions de la perspective des objectifs du scénario. Pour les éléments à générer (à droite), l’ObjectiveScenario est composé de plusieurs TargetedSkill (concrètement le modèle/scénario en aura autant que la valeur de nbLevels). Chaque TargetedSkill référence une compétence BxSkill et précise le niveau de difficulté (propriété difficultyLevel). Les éléments de description du jeu d’apprentissage (au centre) pour cette perspective sont les compétences BxSkill et leurs relations prerequisite pour préciser l’éventuelle compétence parent d’une autre compétence. Enfin, les éléments de contexte (à gauche) décrivent le Profile d’apprentissage de l’enfant comme composé de plusieurs Skill2Consider référençant chacun une des compétences décrites et précisant ainsi pour chacun le niveau actuel de difficulté (currentLevel) et le statut en cours d’acquisition ou acquis de cette compétence (currentProgress). Le Profile précise également le nombre de niveaux nbLevels à générer (information obtenue dans l’environnement de la demande de génération).

Les différentes couleurs permettent de repérer les 3 dimensions. Chacune a un élément racine qui sera exploité pour l'élaboration des modèles. Les relations entre méta-modèles correspondent aux références simples (c.-à-d. pas de composition) entre deux éléments de deux méta-modèles différents (colorées en mauve). Comme l'indiquait le schéma (cf. figure 1), le méta-modèle décrivant les éléments du jeu d'apprentissage est central car il est référencé par les deux autres méta-modèles (les deux autres dimensions).

5.1.3. Modélisation du contexte et des éléments du jeu

La figure 5 montre partiellement les modèles en entrée pour le générateur : la description du jeu (au centre) et un modèle de contexte (à gauche). Ces deux modèles ont été réalisés à l’aide d’un éditeur arborescent qui assure par construction la conformité des modèles à leur méta-modèle d’origine. On peut observer dans cet exemple que le jeu décrit 7 compétences (B3, B4, B8, B9, B13, B19, B25) dont B8, qui correspond au tri entre deux catégories d’objets similaires selon (Partington et al., 2010), a B3 pour prérequis et est l’un des prérequis de B13 (visibles dans la zone Properties). Le contexte correspond ici au profil d’un enfant Tom qui souhaite 4 niveaux. Il est concerné par les 7 compétences, avec B3 et B9 acquis (non visible dans la figure), tandis que B4 (qui dépend de B3) est au niveau de difficulté élémentaire et les autres compétences (B8, B13 et B19) sont au niveau débutant.

Le modèle à droite de la figure 5 est un exemple de scénario adapté qui est obtenu après génération (d’autres générations avec les mêmes modèles en entrée pourraient donner d’autres scénarios possibles). Pour cette génération, le scénario pour la perspective objectifs propose 4 compétences-cibles ordonnées : B4 (avec la difficulté intermédiaire), B9 (élémentaire), B8 (débutant), B8 (débutant). Cela est cohérent avec les règles de génération de la table 2 : seules les compétences B4-B8 (dépendantes de B3 qui est acquis) et B9 (dépendante de B4 à niveau intermédiaire) sont éligibles. Les 3 compétences ont été ensuite choisies dans un certain ordre, puis le hasard a permis de sélectionner à nouveau B8 pour le dernier niveau.

Figure 5 • Exemples de 2 modèles en entrée (un modèle de contexte, à gauche, la description du jeu, au centre) et d’un modèle en sortie (un scénario adapté généré, à droite)

5.2. Perspective « Structure »

5.2.1. Explicitation des éléments

La table 3 synthétise la description des éléments en jeu par dimension pour la perspective « structure ».

Tableau 3 • Éléments en jeu pour la perspective des objectifs

Éléments à générer

- les N scènes (ordonnées) correspondant aux N niveaux souhaités

Éléments descriptifs

- la liste des scènes disponibles par thèmes
- la liste des thèmes disponibles
pour chaque scène, les compétences qu’elle peut aborder

Éléments contextuels

- nombre de niveaux à générer N (choisi par l’apprenant, entre 3 et 5)

Règles de génération et d’adaptation

- le scénario doit avoir autant de scènes que le nb de niveaux souhaité par l’apprenant
- chaque compétence choisie (perspective « objectif » précédente) est associée à une scène choisie à condition que celle-ci permette d’aborder cette compétence
- si possible, les scènes choisies doivent être toutes différentes, mais appartenir au même thème,
sinon, si possible, que les scènes choisies soient toutes différentes pour un nombre de thèmes différents minimal,
sinon, si possible, que les scènes choisies consécutives soient différentes

5.2.2. Spécification des méta-modèles

La figure 6 est une représentation graphique des trois méta-modèles correspondant aux 3 dimensions de la perspective « structure » du scénario. Les méta-éléments intervenant déjà dans la perspective « objectif » précédente sont colorés dans une teinte différente.

Figure 6 • Représentation graphique des 3 méta-modèles correspondant aux 3 dimensions pour la perspective structurelle

Pour les éléments à générer (à droite), le StructuralScenario est composé de plusieurs TargetedScene référençant chacune une Scene et un TargetedSkill généré lors de la perspective précédente. Les éléments de description du jeu d’apprentissage (en haut) sont les différents Theme, puis les Scene qui les composent. Chaque Scene a une relation bxskill pour préciser les compétences qu’elle traitera. Enfin, les éléments de contexte (à gauche) réutilisent le Profile d’apprentissage précisant le nombre de niveaux nbLevels à générer.

5.2.3. Modélisation du contexte et des éléments du jeu

La figure 7 illustre un exemple de spécification des thèmes et des scènes du jeu (à gauche) et un exemple de scénario produit pour lequel les scènes ont été choisies (à droite). On peut observer dans cet exemple que le thème House propose 5 scènes dont Garage qui est utilisable pour 5 des 7 compétences (B3, B4, B8, B9, B25).

Figure 7 • Exemples pour la perspective « structure » d’un modèle de description du jeu (à gauche) et d’un modèle de scénario généré (à droite)

La structure générée pour le scénario propose 4 TargetedScene dont la seconde spécifie une référence vers la scène Bathroom et est en relation avec le second TargetedSkill déjà généré pour le scénario « objectif » (cf. figure 4).

5.3. Perspective « Caractéristiques »

La perspective « Caractéristiques » entraine la spécification de très nombreux éléments, afin de préciser le positionnement des objets présents dans la scène de jeu.

5.3.1. Explicitation des éléments

La table 4 décrit les éléments en jeu par dimension pour la perspective « caractéristiques ». La description est volontairement moins détaillée que pour les perspectives précédentes pour compenser le nombre élevé d’informations.

Tableau 4 • Éléments en jeu pour la perspective des caractéristiques

Éléments à générer

Pour chaque scène générée précédemment, les différents éléments présents dans la scène :
- les éléments de décors additionnels
- les cachettes (et leur position)
- le ou les éléments de solution (et leur position) et leurs éventuelles « sous-zones » sur lesquelles les objets pourront être placés
- les éléments déplaçables (éléments pour résoudre le défi + des éventuels objets inutiles à la résolution) et leur position (certains seront déjà bien placés initialement sur les éventuelles sous-zones de l’objet solution et les autres seront placés parmi les emplacements initiaux dans la scène + les emplacements supplémentaires en relation avec les décors additionnels présents + les emplacements supplémentaires en relation avec les cachettes présentes).

Éléments descriptifs

Pour chaque scène, la liste :- des catégories d’objets disponibles et les objets qui les composent
- des objets additionnels inutiles pour les résolutions
- des positions disponibles pour placer les objets déplaçables
- des éléments de décors additionnels et des positions supplémentaires qu’ils ajoutent
- des cachettes et des positions de cachettes qu’ils ajoutent
- des éléments de solution et pour chacune : leurs positions possibles, les compétences qu’elles visent, les éventuelles « sous-zones » qu’elles proposent, les catégories ou objets compatibles pour être placés sur cette solution.

Éléments contextuels

(rien pour cette perspective)

Règles de génération et d’adaptation

Pour chaque couple (compétence, niveau de difficulté) :
- le nombre d’objets solutions potentiels (min, max)
- le nombre de décors additionnels (min, max)
- le nombre de cachettes (min, max)
- le nombre d’objets à placer sur les bonnes zones solutions (min, max)
- le nombre d’objets inutiles (min, max)

5.3.2. Spécification des méta-modèles

La figure 8 représente graphiquement les nouveaux éléments des méta-modèles correspondant aux 3 dimensions de la perspective « caractéristiques » du scénario (la dimension « contexte » n’apporte aucun nouvel élément). Les nuances de bleu ou de vert dans la figure 8 permettent de distinguer les nouveaux éléments de ceux déjà identifiés dans les perspectives précédentes.

Figure 8 • Représentation graphique des méta-modèles correspondant aux dimensions pour la perspective des caractéristiques (Pleine page)

5.3.3. Modélisation du contexte et des éléments du jeu

La figure 9 illustre un exemple de spécification des composants de jeu pour la scène Garage (à gauche) et un exemple de scénario produit pour lequel les décors, les objets solutions, les éléments, etc. ont été choisis et positionnés pour chaque scène (à droite) par le générateur final. Dans l’exemple de gauche on peut observer la spécification d’un objet solution nommé Box, compatible avec la compétence B3 et acceptant différentes variations de tournevis comme objets compatibles.

Les caractéristiques générées pour le scénario proposent 4 GameLevel référençant les 4 scènes déjà générées pour la perspective précédente. Chaque GameLevel est composé des différents éléments qui seront configurés pour initialiser le défi de chaque scène. Grâce au panneau des propriétés on peut remarquer que la deuxième scène utilisera l’objet solution nommé Box, qui sera positionné en SolB3P et acceptera 4 objets de type comb2.

Figure 9 • Exemples pour la perspective « caractéristiques » de modèles de description du jeu (à gauche) et de modèle en sortie pour le scénario généré (à droite)

5.4. Développement du générateur

Les modèles et méta-modèles obtenus en suivant notre approche de spécification peuvent être considérés comme des spécifications que l’informaticien doit suivre. Ils peuvent également permettre de guider la mise en œuvre informatique de la génération. Dans notre cas d’étude, nous avons souhaité exploiter l’interprétation machine possible de modèles et méta-modèles réalisés dans l’écosystème d’Eclipse Modeling Framework (EMF) (Steinberg et al., 2009). Ainsi, la génération de scénarios adaptés a été implémentée (code Java/EMF) sous une forme procédurale et objet : le modèle (scénario) est généré élément par élément à partir de l’élément racine en prenant en compte les règles de génération. Le framework EMF prend en charge la manipulation des modèles en entrée et en sortie (code Java généré à partir des méta-modèles). Ainsi, la manipulation du modèle de contexte reçu par le générateur et du modèle de jeu (déjà présent dans le générateur conformément à la figure 3) est facilitée. Le développement du générateur peut donc se concentrer sur l’algorithme de génération exploitant les règles (en langage naturel) explicitées dans les tables 2, 3 et 4. Cet algorithme a été implémenté en Java.

Indépendamment du développement du jeu d’apprentissage, le générateur développé a pu être testé (phase de vérification et de validation logicielle) avec les experts afin de s’assurer que son comportement correspondait bien aux règles métier de génération. Des cas d’étude fictifs de profil d’enfant ont été spécifiés et utilisés pour générer plusieurs scénarios. Les scénarios générés ont alors été analysés (visuellement avec un éditeur de modèle) afin de juger la pertinence de ce qui était proposé. Il est important de préciser que, par construction, dans un écosystème IDM outillé, les modèles produits sont nécessairement conformes au méta-modèle associé. Cela garantit que le scénario est correct syntaxiquement, mais pas sémantiquement. Pour cela il faut manuellement analyser son contenu et vérifier ainsi le bon codage des règles de génération. Il est pertinent de remarquer également que l’algorithme de génération est stochastique : le hasard est utilisé pour départager des choix non couverts par une règle métier. Cela signifie que le générateur ne produit pas forcément le même scénario en sortie pour un même modèle de contexte en entrée. Tous ces scénarios produits peuvent aussi faire l’objet d’analyses.

Ces étapes de validation logicielle aident à garantir que le générateur réalise correctement le comportement attendu. Lorsque le générateur est considéré valide, il peut alors à son tour servir à l’analyse et à la validation, ou à la réingénierie des règles métiers de génération. Il est important toutefois de signaler que cette validation itérative pourra nécessiter que le code du générateur soit modifié pour prendre en compte l’ajout, la suppression, ou la modification des règles.

5.5. Intégration et mise à l’essai du générateur

Lorsque le développement du jeu d’apprentissage Escape It! a été réalisé (avec le moteur de jeu Unity), le générateur a été intégré comme un composant logiciel externe déployé sur un serveur et accessible par le jeu via un service Web (cf. capture d’écran au centre gauche de la figure 10). Cela permet de découpler le jeu du générateur, au cas où la génération (modèles et règles) nécessite des ajustements.

L’utilisation en situation écologique du jeu d’apprentissage final (cf. figure 10), et donc de la génération, a pu être ensuite expérimentée.

La figure 10 présente différents écrans du jeu sérieux final dont (de gauche à droite et de haut en bas) l’écran titre, l’écran du choix du nombre de niveaux pour le scénario à générer, l’écran d’attente pendant les échanges avec le générateur, l’écran présentant la progression dans le scénario (visible entre chaque scène), l’écran de configuration du profil montrant le niveau de difficulté atteint par compétence ainsi que la progression actuelle (étoiles) dans ces niveaux, et enfin l’écran d’une scène générée pour la compétence B13 au niveau de difficulté ADVANCED.

Figure 10 • Différentes captures d’écran du jeu final

Une ergothérapeute, membre des experts autisme impliqués dans le projet, a utilisé le jeu Escape it ! lors de séances avec des enfants autistes. Ces expérimentations étaient informelles (non cadrées scientifiquement). Elles visaient différents objectifs : vérifier auprès d’enfants, supervisés par un de leurs parents, que le jeu final était utilisable (point de vue ergonomique) et utile (en relation avec l’apprentissage des compétences visuelles visées), et vérifier à l’usage si les scénarios générés étaient bien pertinents (par rapport à la progression des apprentissages) et conformes aux règles de génération implémentées. Concernant ce dernier point, ces retours d’usages n’ont pas révélé de situations où les scénarios proposés n’étaient pas bien adaptés selon les règles prévues.

6. Bilan et analyses des résultats

6.1. Analyse bilan de l’approche 3x3x2

L’approche 3x3x2 permet de guider l’identification (quels éléments prendre en compte ?) et la formalisation (comment les spécifier ?) des éléments impliqués dans la réalisation de la génération. Les 3 perspectives permettent d’appréhender la difficulté d’identification en la décomposant en étapes complémentaires. Les 3 dimensions et les 2 niveaux (modèles et méta-modèles) permettent de capturer les éléments à générer, puis les éléments de contexte et les éléments de connaissances sur le jeu qui sont nécessaires à la génération. Il est à noter que le modèle de contexte n’inclut pas le profil apprenant complet, s’il existe pour d’autres besoins, mais bien uniquement la partie impliquée dans les règles de génération. Il en est de même pour le modèle des éléments du jeu.

Les modèles et méta-modèles produits peuvent être utilisés comme spécifications pour guider la mise en œuvre. Ils peuvent également être exploités informatiquement pour participer à la mise en œuvre effective de l’adaptation par génération. Dans le contexte du projet Escape it! nous avons choisi de manipuler directement ces spécifications dans le code du générateur. Ce dernier a été réalisé selon un algorithme procédural implémentant les règles de génération qui avaient été explicitées par les experts.

Le retour d’expérience des sessions de conception collaboratives que nous avons eues avec les experts autisme du projet Escape It! a permis également de mettre en exergue la difficulté à distinguer les règles métier de la génération des autres éléments métier en relation avec la conception générale du jeu d’apprentissage (quels éléments tracer, quels feedbacks pour le superviseur, quelles règles pour faire progresser les apprentissages et le profil utilisateur, etc.). L’approche 3x3x2 permet de faciliter cette distinction en guidant l’informaticien dans ces échanges avec les experts. Les experts métier ne sont pas pour autant des experts en génération : ils sont demandeurs de retours rapides pour vérifier les règles exprimées. Leurs propositions peuvent être non pertinentes, incomplètes, ambiguës. La réflexion ne suffit pas toujours à valider ou invalider certaines règles. Il est nécessaire de les mettre en œuvre pour analyser les scénarios produits par le générateur. L’approche 3x3x2 n’est donc pas seulement itérative au sens des 3 perspectives à considérer mais parce que plusieurs itérations par perspective peuvent être nécessaires. A titre d’illustration, quelques exemples de modifications des règles sont listés dans le tableau suivant.

Tableau 5 • Exemples de modifications des règles de génération

Règle supprimée

Règle initiale du 80/20 (80% de compétences déjà maîtrisées + 20 % compétences en cours d’acquisition) sur le choix des compétences que devait aborder le scénario généré. Cette règle est généralement appliquée en accord avec l’approche A.B.A dans la conception de situation d’apprentissage pour personnes autistes.
Cette règle était difficile à prendre en compte pour des scénarios générés composés de 3 à 5 niveaux (donc seulement 3 à 5 compétences). Il a été privilégié l’utilisation de 5 niveaux de difficulté et la règle des 3 succès consécutifs nécessaires (pour une même compétence) pour progresser dans les niveaux de difficultés.

Règle ayant émergée

Le choix des scènes de jeu : de préférence toutes différentes mais d’un même thème (maison, école, etc.), sinon toutes différentes pour un nombre de thèmes différents minimum, sinon 2 scènes successives doivent au moins être différentes (quel que soit le thème)

Règle ayant été ajustée

Les nombres min et max des objets à trouver par compétence et par niveau de difficulté (ces valeurs contraignent la conception des scènes à proposer un nombre max suffisant d’objets pour que la règle soit toujours applicable).

6.2. Valeur ajoutée et limites de l’approche

L’approche 3x3x2 proposée permet d’appréhender la conception et la mise en œuvre du générateur indépendamment de la conception et du développement du jeu d’apprentissage (découplage). Toutefois, l’intégration finale du générateur comme sous-système du jeu d’apprentissage final nécessite un recodage spécifique (selon les technologies utilisées) ou une approche intégrative (approche service web dans le cas d’Escape it!). Cette dernière approche permet de faire évoluer le générateur sans impacter le jeu tant que les formats des éléments de contexte (fournis dynamiquement par le jeu d’apprentissage) et du scénario à générer restent inchangés.

Bien que l’approche 3x3x2 favorise la décomposition du problème de la spécification de la génération en différentes étapes complémentaires (les 3 perspectives) et que les 3 dimensions guident également le concepteur pour spécifier les éléments pertinents, l’approche ne vise pas à aider l’explicitation de ces éléments pertinents. L’approche propose implicitement un cadre méthodique de spécification (cf. 4.4) mais elle n’est pas destinée à guider la collaboration entre experts du domaine et informaticiens. Bien que les perspectives et les dimensions de spécification puissent être utilisées par les concepteurs informaticiens pour « guider » l’explicitation auprès des experts, cela n’est pas un objectif abordé par la proposition ; d’autres techniques et méthodes existantes, ou à proposer, peuvent traiter davantage de cette collecte des informations nécessaires à la spécification.

L’approche 3x3x2 est toutefois intéressante car elle permet de cadrer le périmètre des éléments à considérer pour chaque dimension. Cela permet également de mettre en évidence les règles qui seront utiles à la génération du scénario adapté. Ainsi, il est plus aisé de rejeter les informations métiers qui ne relèvent pas de la génération, comme celles qui concernent davantage l’exécution du jeu (runtime) ou la mise à jour des éléments de contexte, comme le profil de l’apprenant. Ainsi, les informations régissant dans Escape it! la manière dont est réalisée la progression dans les niveaux de difficultés relèvent de la collecte et de la mise à jour du profil, mais ne sont pas nécessaires à la génération.

Les « règles de génération », complémentaires aux éléments spécifiés selon les trois dimensions proposées, ne sont actuellement pas prises en compte lors de la méta-modélisation : elles ne sont pas spécifiées mais directement mises en œuvre dans le code réalisant la génération. Il est possible de vérifier la conformité des éléments spécifiés dans les méta-modèles en réalisant des modèles conformes (modèle de contexte, modèle des connaissances du jeu, mais aussi des modèles de scénarios). Pour autant, les règles d’adaptation ne peuvent être testées et validées qu’en les implémentant et en exécutant le générateur sur des cas concrets.

6.3. Généricité et domaine de validité

L’approche 3x3x2 est issue du contexte spécifique des jeux d’apprentissage (ou jeux sérieux pédagogiques). Elle ne référence pas explicitement les modèles souvent spécifiquement identifiés par la littérature (modèle d’apprentissage, modèle d’apprenant, modèle de jeu, etc.). Pour autant les informations de ces modèles qui participent réellement à la génération seront indirectement identifiés en considérant les 3 dimensions des éléments à générer, des éléments de contexte et des éléments de connaissances. L’approche est fondée sur le point de vue fonctionnel de la génération, considérée comme l’objet central de la recherche. Par exemple l’approche 3x3x2 ne considère pas comme un prérequis nécessaire de spécifier le profil de l’apprenant mais uniquement de considérer quels éléments de contexte, en relation avec, entre autres, le profil de l’apprenant, influencent la génération.

L’approche 3x3x2 peut donc convenir dans n’importe quel contexte où des éléments sont générés en fonction d’éléments de contexte et en utilisant des connaissances sur l’EIAH considéré, que celui-ci soit un jeu d’apprentissage ou un autre environnement informatisé d’apprentissage.

Nous avons pu appliquer l’approche 3x3x2 pour la génération d’activités d’inventaires botaniques adaptées au contexte du citoyen (relevés à proximité et préférences d’inventaires du citoyen) dans le cadre du projet REVERIES (Gicquel et al., 2019). Le « métier » considéré est celui de l’inventaire botanique. A terme, des préoccupations « apprentissage » et « ludique » devront être prises en compte afin que l’activité d’inventaire générée ait, en plus de l’objectif d’inventaire, un objectif d’apprentissage et un objectif ludique, adaptés au profil du citoyen. L’approche 3x3x2 ne convient pas lorsqu’il faut prendre en compte différentes préoccupations (apprentissage, ludification et inventaire citoyen) mais semble convenir pour une seule préoccupation prise indépendamment des autres. De futurs travaux approfondiront l’étude de ce constat.

6.4. Vers une réduction du temps de validation des règles de génération

L’analyse de (Hocine et al., 2011) relève que « la plupart des travaux sur les jeux sérieux n’identifient pas explicitement un modèle pour représenter les règles de l’adaptation ». Bien que notre proposition permette de faciliter la conception de la génération de scénarios adaptés, elle ne permet toujours pas de faciliter la mise en œuvre concrète des règles de génération, qui reste une tâche de programmation non négligeable. En effet, dans notre contexte, les éléments en jeu dans la génération sont capturés dans les deux dimensions méta-modèles et modèles, mais les règles de génération sont directement « traduites » de leur expression en langage naturel dans le code final du générateur. Le développement du générateur requiert la manipulation de modèles et de méta-modèles, déjà prise en charge par les nombreux écosystèmes d’outillage proposés en IDM (dont EMF que nous avons utilisé), et la traduction des règles de génération qui incombe aux concepteurs informaticiens. Dans le cas du projet Escape it! la génération suit une simple approche algorithmique de programmation pour traduire la majorité des règles. Néanmoins les contraintes sur le choix des scènes et des thèmes (exprimées dans la table 3) ont nécessité l’utilisation d’une librairie (Choco Solver) spécialisée dans la programmation de contraintes. La section haute de la figure 11 illustre cette approche.

Cette mise en œuvre des règles de génération nécessite un temps non négligeable (donc un coût ) qui ne permet pas de tester les règles explicitées avec les experts pendant la session d’échange. Nous avons présenté l’importance de tester le plus rapidement possible les règles de génération pour les valider, les affiner ou les modifier. Nous avons alors également cherché à considérer la transformation de modèle non comme un problème algorithmique de programmation, mais comme un problème de satisfaction de contraintes. Afin de conserver la valeur ajoutée de la spécification des éléments de génération en modèles et méta-modèles, nous avons proposé une implémentation orientée IDM du CSP (Constraint Satisfaction Problem) selon une approche pattern-matching centrée sur la cible à générer (Laghouaouta et Laforcade, 2018) (cf. seconde « ligne » de correspondance de la Figure 11). Cette approche réduit le temps de mise en œuvre à celui de spécification des règles selon l’approche proposée (la partie « moteur de règles » implémentée étant générique). Nous avons pu prouver que le temps de modification des règles était meilleur qu’avec d’autres mises en œuvre, mais le formalisme proposé pour spécifier les règles nécessite une expertise spécifique pour leur rédaction

Figure 11 • Schématisation des différents « efforts de correspondances » nécessaires à la mise en œuvre informatique des règles d’adaptation

Comme illustré, et simplifié, dans le reste de la figure 11, nous nous interrogeons sur la possibilité de proposer des formalismes de spécification dédiés aux règles d’adaptation, c.-à-d. dont la représentation des règles et le raisonnement exploitant celles-ci seraient spécifiques. Nous illustrons en figure 11 deux cas. Le premier formalisme permettrait à un informaticien peu ou non expert en IDM de spécifier les règles ou de les modifier (modèle X), sans qu’il soit nécessaire de modifier l’implémentation informatique du générateur. Le second cas serait encore plus proche de l’expression initiale des règles par les experts. Ce formalisme permettrait à ces experts d’exprimer eux-mêmes les règles d’adaptation (modèle Y).

7. Conclusion

Nous avons proposé une approche de conception IDM pour la génération de scénarios adaptés dans des jeux d’apprentissage. Elle permet d’appréhender la spécification des différents modèles et méta-modèles selon trois perspectives (points de vue incrémentaux sur les éléments à générer) et trois dimensions (les éléments à générer, les éléments décrivant le contexte de la génération, les éléments décrivant le jeu d’apprentissage). Nous avons appliqué cette approche dans le contexte du projet Escape it!. Cela nous a permis de concevoir un générateur de scénarios de scènes de jeu et de leurs configurations, adaptés au profil d’apprentissage des enfants. Le générateur conçu a été concrètement développé, intégré au jeu d’apprentissage et testé avec succès.

Nous avons également analysé la proposition afin de mettre en évidence ses valeurs ajoutées et ses limites. Elle permet en effet de guider l’identification des éléments en jeu dans la génération visée et de les spécifier sans ambiguïté. Ces spécifications peuvent alors être exploitées afin de vérifier, grâce au générateur implémenté, que les scénarios produits sont pertinents et cohérents avec les règles de génération identifiées. Néanmoins, le contexte spécifique des jeux d’apprentissage implique la prise en compte de nouvelles dimensions (le jeu, l’ergonomie, l’émotion, etc.), la collaboration de différents experts (l’enseignant, le concepteur de jeu, etc.) et une part d’incertitude dans l’explicitation des règles d’adaptation. Les règles sont alors plus difficiles à identifier et à vérifier que dans d’autres contextes. Il est important que le temps pour implémenter ces règles soit le plus court possible afin de pouvoir rapidement les expérimenter. La proposition actuelle n’aborde pas la spécification des règles de génération. Des études et propositions complémentaires doivent être réalisées.

À propos des auteurs

Pierre LAFORCADE est actuellement enseignant-chercheur en Informatique au laboratoire LIUM de l’Université du Mans. Ses travaux de doctorat se sont déroulés au sein du laboratoire LIUPPA de l’Université de Pau et des Pays de l’Adour. Ses recherches concernent l’ingénierie des EIAH selon une forte perspective Génie Logiciel et Ingénierie Dirigée par les Modèles. Ses thématiques de recherche ont tout d'abord concerné les langages de scénarisation pédagogique et les outils-auteurs pour la conception pédagogique de situations d'apprentissage utilisant des LMS. Depuis quelques années ses thématiques de recherche concernent davantage la conception de générateurs d'activités adaptées dans le contexte de jeux sérieux d'apprentissage.

Adresse : Laboratoire LIUM, Le Mans Université, France

Courriel : pierre.laforcade@univ-lemans.fr

Toile : https://lium.univ-lemans.fr/team/pierre-laforcade/

Youness LAGHOUAOUTA est enseignant-chercheur à l’Institut National des Postes et Télécommunications (INPT-Maroc). Il est titulaire d'un diplôme d'ingénieur de l'École Nationale Supérieure d'Informatique et d'Analyse des Systèmes (ENSIAS-Maroc) en 2009, et d'un doctorat en Informatique de l'Université Mohammed V de Rabat (Maroc) en 2016. Ses activités de recherche concernent l’ingénierie dirigée par les modèles. Il s'intéresse particulièrement à la traçabilité des modèles, aux langages dédiés et à la conception participative.

Adresse : Laboratoire LIUM, Le Mans Université, France

Courriel : youness.laghouaouta@univ-lemans.fr

Toile : https://lium.univ-lemans.fr/team/youness-laghouaouta/

RÉFÉRENCES

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Référence de l'article :
Pierre LAFORCADE, Youness LAGHOUAOUTA, Une approche dirigée par les modèles pour la conception de générateurs de scénarios adaptés dans un jeu d'apprentissage, Revue STICEF, Volume 28, numéro 1, 2021, DOI:10.23709/sticef.28.1.3, ISSN : 1764-7223, mis en ligne le 8/04/2022, http://sticef.org
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Mise à jour du 8/04/22