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Informatique, Scratch et robots : de nouvelles pratiques
enseignantes en mathématiques ?
Mariam HASPEKIAN (Laboratoire EDA, Université de Paris),
Jean-Michel
GELIS (Laboratoire EMA, CY Université de Cergy-Pontoise)
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RÉSUMÉ : Les
programmes de mathématiques incluent algorithmique et informatique
désormais dès le primaire. Comprendre l’évolution des
pratiques enseignantes est alors un enjeu pour la recherche et la formation.
L’article analyse les pratiques de cinq enseignants qui intègrent
pour la première fois Scratch ou des robots. Nos cadres en didactique des
mathématiques utilisent des approches instrumentale et ergonomique
(schèmes, genèse et distance instrumentales) et de la didactique
professionnelle (recours à des pratiques connues pour en bâtir de
nouvelles). Deux phénomènes sont montrés : une
réduction de la distance permettant ce recours aux anciennes pratiques et
une prise de repères didactiques. Distance et repères semblent
ainsi un outil intéressant pour comprendre l’activité en
situation nouvelle.
MOTS CLÉS : Pratiques
enseignantes, informatique, genèses instrumentales, schèmes,
Scratch, robots. |
Computer science, Scratch and robots: new teaching practices in mathematics? |
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ABSTRACT : Understanding
the emergence of teaching practices is a challenge for research and training. We
explore here the practices of five teachers first-time using programming
language or robots. Using instrumental and ergonomic frames (schemes,
instrumental geneses and distance) and professional didactics (new activity
draws on old known practices), our results concern a reduction of distance to
old practices and the existence of new didactic reference points.
KEYWORDS : Teachers’
practices, computer science, instrumental geneses, schemes, Scratch, robots. |
1. Introduction
En
France, informatique, algorithmique, codage, programmation, robotique sont
entrés en force dans les nouveaux programmes scolaires de
mathématiques depuis la rentrée 2016, avec une initiation
dès la maternelle. Des objectifs nouveaux à ces âges sont
visés dès le cycle 2 telle l’initiation à la notion
d’algorithme et, plus largement, à la programmation, liés
parfois à des apprentissages classiques comme le développement de
compétences de repérage, de déplacement et de
représentation dans l’espace (MEN, 2015). Cette
volonté d’affirmer l’informatique dans les programmes
s’est récemment concrétisée (janvier 2019) par la
création et la montée en puissance d’un CAPES
d’informatique dont les lauréats assureront l’enseignement de
spécialité « Numérique et sciences
informatiques » au lycée. Malgré cette avancée,
l’informatique n’est pas encore identifiée partout comme
discipline à part entière. Au collège, son enseignement
reste confié aux professeurs de mathématiques et de technologie.
Dans le primaire, ce champ disciplinaire est dispensé dans le cadre de
l’enseignement des mathématiques et des sciences et techniques.
Dans cet article, nous nous intéressons aux pratiques de ces
enseignants, qui enseignent l’informatique sans en être
spécialistes, et à leurs nécessaires évolutions pour
s’approprier tant cette nouvelle discipline que les technologies
afférentes. Quels éléments et mécanismes sont
cruciaux dans cette évolution ? Cette question interpelle tant la
recherche que la formation. Du point de vue recherche : comment une
activité enseignante nouvelle se déploie-t-elle ? Quels en
sont les points d’appui ? Quels en sont les freins ? Du point de
vue formation, les réponses peuvent amener des pierres à
l’édifice qu’il reste à construire en matière
d’accompagnement et de ressources pour l’enseignant :
organisation d’une progression en informatique, articulation avec les
autres apprentissages visés, exploitation des outils
dédiés, connaissance des points d’achoppement
(difficultés, résistances) des enseignants et, à
l’inverse, points d’appui des pratiques réussies.
2. Contexte du travail et outils théoriques
Nous abordons ici ces questions de manière
exploratoire, en nous appuyant sur cinq cas d’étude. Nous analysons
qualitativement les pratiques de professeurs des écoles utilisant pour la
première fois, des technologies liées à ces nouveaux
programmes (le logiciel Scratch et des robots pédagogiques décrits
dans la suite) et qui sont sans formation face à cette mission, comme la
plupart des enseignants du primaire et du secondaire. Les outils
théoriques, exposés ci-dessous, permettent nos analyses de
l’utilisation de Scratch (section 3) et celle des robots (section 4). La
dernière section (section 5) discute des résultats obtenus, qui
montrent des convergences dans les utilisations pédagogiques et
didactiques observées quant aux fonctionnalités de ces outils et
aux connaissances qu’ils embarquent, lesquelles, comme nous le verrons,
sont loin d’être identifiées comme mathématiques ou
informatiques par les enseignants.
2.1. Outils théoriques pour analyser les pratiques
2.1.1. La Double Approche didactique et ergonomique
Interroger les pratiques enseignantes, chercher à décrire et
comprendre les changements et évolutions liés à
l’intégration de nouveaux outils et à celle d’une
nouvelle discipline comme l’informatique, peut se faire sous un angle
didactique avec le cadre de la « Double Approche didactique et
ergonomique » (Robert et Rogalski, 2002).
Les pratiques naissantes que nous cherchons à décrire peuvent
ainsi s’analyser sur les dimensions cognitives et médiatives de
l’activité enseignante. Les choix de l’enseignant dans ces
dimensions se font, entre autres, en fonction de sa
« composante » personnelle : les connaissances propres
qu’a l’enseignant lui-même dans ces dimensions cognitives et
médiatives vont orienter son activité, combinées aux
dimensions sociales et institutionnelles. Si l’introduction de
l’informatique est une situation a priori complètement nouvelle
pour l’enseignant, quelle activité peut-il mettre en place
s’il n’a que peu de connaissances personnelles sur ces dimensions
cognitives (liées à l’apprentissage de l’informatique)
et médiatives (liées à l’organisation de cet
apprentissage médié par de nouveaux outils technologiques) ?
Ce cadre nous permet donc de poser la question des nouvelles pratiques, de leurs
possibilités et de leurs freins, en termes d’analyse et
compréhension des choix de l’enseignant effectués aux
niveaux cognitifs et médiatifs : comment les choix vont-ils
s’opérer ? Pourquoi ces choix ? Qu’est-ce qui les
favorise ou les freine ?
2.1.2. La didactique professionnelle et les schèmes
La « Double Approche » réfère à la
didactique professionnelle (Pastré, 1997) pour analyser les pratiques enseignantes (Rogalski, 2004), (Pastré, 2007).
Ce courant s’appuie sur une théorie de l’activité
développée en psychologie ergonomique française (Leplat, 1997) dans une lignée vygotskienne (Rogalski, 2004).
Selon le degré d’analyse souhaité, ou possible, il peut donc
être intéressant de prolonger l’étude à un
angle plus cognitif en recourant à l’analyse de
l’activité jusqu’aux schèmes (Vergnaud, 1990) impliqués dans ces pratiques. La question des évolutions de
pratiques liées à l’informatique se traduit ici en termes de
développement de schèmes nouveaux, observés à leur
stade d’émergence le plus précoce. En effet, au regard de
travaux qui décrivent des schèmes déjà
installés — voir par exemple (Goigoux, 2007) en didactique du français, nous observons, et c’est
l’originalité du travail ici en didactique disciplinaire, des
pratiques « naissantes » : nous recherchons des
mécanismes opérés lors de séances innovantes,
mécanismes qui sont les prémisses à l’installation de
schèmes ultérieurs et de pratiques stabilisées.
Comment se forment ces schèmes ? Si Vergnaud donne lui aussi de
nombreux exemples de schèmes (notamment de schèmes
d’élèves en situation d’apprentissage des
mathématiques), ses écrits n’évoquent que peu les
processus précoces par lesquels se forment ces schèmes, si ce
n’est en parlant d’« ajustement »
d’anciens schèmes ou de « contingence » de
l’activité face à des situations nouvelles. C’est
d’ailleurs toute la puissance de la notion de
« schème » qui permet de rendre compte du
caractère double de l’activité, à la fois
systématique et contingente : « cette contingence de
l’activité, est encore plus éclatante pour les situations
nouvelles, lorsque le sujet ne dispose pas de schème tout prêt dans
son répertoire, et doit improviser les moyens de faire face. La
contingence tourne alors à l’opportunisme, et le sujet fait feu de
tout bois puisant dans ses ressources cognitives, c’est-à-dire dans
les schèmes antérieurement formés susceptibles
d’ouvrir une voie à la recherche de la solution » (Vergnaud, 2007a, p. 20).
Des schèmes se combinent aussi pour en former de plus gros
constitués de sous-schèmes avec lesquels ils entretiennent des
liens. Vergnaud parle de répertoire de schèmes. C’est dans
son répertoire que le sujet puise une solution. Mais que se passe-t-il
face à un problème « trop » nouveau ? Et
comment apprécier ce « trop » ? Nous y
reviendrons. Dans le cas d’un problème à résoudre qui
serait totalement nouveau pour un sujet, Vergnaud change de vocable et parle de
démarches : ce sont des « démarches susceptibles
d’être engagées par les sujets » et qui ont
« vocation à devenir un schème » (Vergnaud, 2011, p. 42).
Certaines de ces démarches débutantes vont alors être
abandonnées, d’autres vont se stabiliser, voire se renforcer au
point d’en chasser d’autres. Les invariants opératoires des
schèmes qui se constituent là proviennent ainsi soit
d’anciens schèmes déjà installés, soit se
créent en situation : « dans l’adaptation aux
situations nouvelles (et donc à la résolution de problème),
une fonction essentielle est assurée par les invariants
opératoires : soit qu’ils existent déjà dans les
ressources du sujet, et qu’ils soient décombinés et
recombinés, soit qu’ils n’existent pas encore, qu’ils
émergent en situation, et viennent s’articuler avec les invariants
antérieurement formés » (Vergnaud, 2007a, p. 20).
Cette émergence intéresse particulièrement notre
étude. Comment se produit-elle ? À partir de quoi ? En
effet, notre étude ne se situe pas encore au niveau de schèmes,
même « petits » (Pastré, 2007),
mais en amont. Nous observons de toutes nouvelles pratiques qui
s’élaborent, des actions et règles de conduite en germe
seulement, ou, comme le dit Pastré, en parlant lui de
« gestes », des « gestes professionnels
élémentaires [qui] vont être intégrés dans des
organisations plus macro » (Pastré, 2007, p. 86).
Mais la même question se pose en termes de gestes : comment, à
partir d’anciens mais aussi de nouveaux éléments, ces gestes
se mettent-ils en place ?
Dans le déroulement de l’activité, Vergnaud souligne
l’importance des règles de conduite et des invariants
opératoires : « Règles d’action, de prise
d’information et de contrôle. C’est cette composante qui
constitue la partie proprement générative du
schème » (Vergnaud, 2007a, p. 18).
Mais là encore, si l’on comprend bien que de nouvelles
règles de conduite peuvent découler d’adaptation, ajustement
d’anciennes règles, rien n’est véritablement dit sur
le versant émergence de nouvelles règles (ni de nouvelles
possibilités d’inférences ou de nouveaux invariants
opératoires) en présence d’une situation trop nouvelle. Dans
le couple schème-situation, on peut en effet distinguer le cas de
situations nouvelles, mais suffisamment proches de celles déjà
vécues, du cas de situations nouvelles plus éloignées,
voire en rupture avec celles déjà vécues. On trouve ici une
notion de distance au vécu, sur laquelle nous reviendrons par la suite.
Comme le souligne Vergnaud, « le développement se manifeste
à la fois par des continuités et des ruptures : les
connaissances nouvelles se construisent à la fois en s’appuyant sur
les connaissances antérieures, et en s’opposant parfois à
elles » (Vergnaud, 2013, p. 13).
Le cas de l’introduction dans l’enseignement primaire de
l’informatique et de l’algorithmique, introductions
accompagnées tout à la fois de celles de nouveaux logiciels tels
que Scratch ou des robots, nous semble placer l’enseignant
« ordinaire » dans ce second cas, celui d’une nouvelle
situation extrêmement distante des habitudes en cours.
L’activité que nous observons alors se situe à des stades si
précoces du développement de nouveaux schèmes qu’il
serait trop avancé d’attribuer un statut de
« règle » aux conduites observées à ce
stade, qu’elles soient d’action, de prise d’information ou de
contrôle. Nous situer à ce stade nous mène alors à
trois résultats. Le premier ne fait que retrouver, dans ce cas
très précis de pratiques naissantes, les résultats
cités ci-dessus dans les cas plus généraux d’analyse
du travail issus de ce courant théorique (Pastré, 2007) :
l’activité nouvelle se produit en recourant à
d’anciennes pratiques connues. Le deuxième résultat montre
que les conditions de ce recours ne sont pas le fruit du hasard mais sont telles
qu’elles réduisent la distance aux pratiques anciennes
générée par la situation nouvelle. Enfin,
l’originalité de notre travail est d’observer un autre
mécanisme en jeu : l’activité nouvelle se produit aussi
à partir de prise de repères didactiques nouveaux. Nous
distinguons l’idée de prise de repère de celle plus large de
prise d’information. Dans une situation connue, mettant en œuvre un
schème stabilisé, le sujet mène son activité en
prenant en permanence de l’information sur cette situation, cette prise
d’information étant elle-même organisée par des
règles. En effet, selon Vergnaud, les règles de conduites, dont
celles de prise d’information, sont des adaptations locales à la
situation en cours que le sujet infère (grâce à des
possibilités d’inférences, partie constituante des
schèmes) de ses invariants opératoires (théorèmes en
acte et concepts en acte). Pour Vergnaud, la prise d’information (autre
partie constituante des schèmes) gagnerait à être davantage
étudiée : « Il est étrange que la prise
d’information ait été si mal théorisée, alors
que c’est un des points essentiels des activités
complexes » (Vergnaud, 2007b, p. 292).
Dans le cas d’une situation non connue et trop nouvelle, on peut
raisonnablement affirmer que, de manière analogue, le sujet mène
son activité en prenant de l’information sur la situation. Avant
même qu’un invariant opératoire, ou même une
règle d’action, ne soit formé ou qu’une règle
de prise d’information ne soit engendrée et adaptée à
la situation, il y a tout de même prise d’information, possiblement
tous azimuts, « opportuniste » ou en « faisant feu
de tout bois » comme le disait Vergnaud plus haut. Dans ce processus,
certaines des informations prises vont être oubliées,
d’autres vont jouer un rôle important : celui de permettre au
sujet de développer de nouveaux invariants opératoires, de
nouvelles règles de conduite (y compris des règles de prise
d’information adaptées à la nouvelle situation). Ces
informations jouent donc un rôle particulier de guidage. Elles fournissent
des repères, sur les dimensions cognitives et médiatives
(repères qui sont donc didactiques), sur lesquels une organisation
ultérieure de l’activité va pouvoir s’ancrer, pour
dépasser le stade de démarche et arriver à celui de
schème. Par exemple, l’enseignant va découvrir une erreur
récurrente des élèves dans leur utilisation de Scratch. Une
fois cette information retenue, elle devient un repère didactique pour
son action ultérieure : il l’utilise à présent
dans ses interactions avec les élèves. Sa façon
d’utiliser ce repère, ou de le conceptualiser, est un bon candidat
à la génération d’un nouveau schème qui sera
appliqué dans les situations analogues d’utilisation de Scratch par
les élèves. Ce repère peut contribuer par exemple au
développement de nouvelles règles d’action ou de prise
d’information, de contrôle, mais aussi au développement de
nouveaux concepts-en-acte et théorèmes-en-acte liés
à l’utilisation didactique de Scratch. Nous nous intéressons
ainsi à cette fonction de guidage, souhaitant mettre en évidence
ces moments de prise de conscience de connaissances nouvelles qui agissent comme
des repères pour l’activité didactique de
l’enseignant.
2.1.3. L’approche Instrumentale
Cette activité et les connaissances que nous cherchons à
examiner ici ont toutefois une particularité forte : elles se
déroulent avec des technologies. Ce contexte instrumenté nous
pousse à particulariser ces notions de schèmes et
d’activité au cas instrumenté et à utiliser pour cela
le cadre de « l’Approche Instrumentale » en didactique
des mathématiques (Artigue, 2002), (Guin et Trouche, 2002), (Lagrange, 2000).
Ce cadre, en s’appuyant sur les concepts de la psychologie ergonomique,
permet de retrouver ces notions d’activité et de schème,
mais en contexte instrumenté. Il se fonde, tout en les élargissant
au contexte scolaire, sur les travaux notamment de Rabardel (Rabardel, 1995) qui soulignent l’importance de la genèse instrumentale, processus
au cours duquel un sujet s’approprie un artefact donné via
l’élaboration de schèmes, le transformant ainsi en un
instrument. Ce concept est donc bien adapté à l’étude
de pratiques naissantes qui se traduisent en termes de genèses de
schèmes (qui se constituent dans ces pratiques), alors même que
l’activité n’est pas encore organisée de
manière invariante dans ces situations nouvelles, ce que pouvait
difficilement traduire l’idée directe de schème. Issues de
ce cadre, deux idées décrites ci-après complètent
l’outillage théorique qui a servi à nos analyses :
celle de distance aux pratiques qui prolonge l’idée de distance
instrumentale (Haspekian, 2017) et va permettre de caractériser la nouveauté des situations, et la
distinction instrument personnel/instrument professionnel de l’enseignant (Haspekian, 2011) qui découle de l’idée de genèse instrumentale dans le
cas du sujet enseignant. Nous les décrivons ci-après.
Dans les situations d’enseignement nouvellement instrumentées,
l’idée de distance instrumentale reprend celle de
non-neutralité des outils sur les conceptualisations usuelles dans le but
de mettre des mots sur cet écart entre les situations habituelles et
celles impactées par l’outil. Par exemple, une trop grande distance
instrumentale comme celle embarquée par le tableur,
préconisé par les programmes pour l’enseignement des
mathématiques, provoque des résistances chez les enseignants,
l’outil se retrouvant alors faiblement intégré dans les
pratiques (Haspekian, 2005).
Les difficultés d’intégration sont alors rapportées
aux difficultés liées à la gestion didactique des
artefacts, que Trouche (Trouche, 2005) nomme orchestrations. Cette gestion suppose en effet la connaissance des
potentialités et contraintes des artefacts pour piloter
l’instrumentation des élèves, définir des objectifs
d’apprentissages (disciplinaires et instrumentaux) associés
à ces genèses, concevoir des situations et scénarios les
mettant en œuvre. Certains éléments intrinsèquement
liés à l’artefact contribuent à créer ou
contrer la distance : la transposition informatique (Balacheff, 1994),
les éventuels écarts à l’environnement
d’apprentissage usuel dans le vocabulaire, dans les techniques et dans les
objets mis en avant par les deux environnements ; Drijvers parle aussi de
congruence (Drijvers, 2003).
De même, certains éléments, cette fois liés à
la composante personnelle de l’enseignant, accroissent ou au contraire
réduisent la distance (Haspekian, 2017),
ce sont les diverses légitimités attribuées à
l’outil par l’enseignant, déclinées à nouveau
grâce au cadre de la « Double Approche » :
légitimité institutionnelle (comme les instructions, injonctions
officielles), légitimité sociale (comme la place de la
nouveauté à intégrer dans la société),
légitimité didactique, c’est à dire cognitive et
médiative (comme les activités possibles avec cet artefact, leur
bénéfice didactique et la valeur perçue par
l’enseignant du changement qu’apporte cet outil), mais aussi
légitimité épistémologique (représentations
qu’à l’enseignant du rôle de l’outil dans le
développement des connaissances visées, des nouveaux
développements possibles qu’il génère). Ainsi,
conjuguer l’instrumentation et les apprentissages visés
(usuellement en référence au
« papier-crayon ») peut s’avérer difficile et
susciter des résistances.
Prolongeant cette étude de l’intégration du tableur,
l’idée de double genèse instrumentale (Haspekian, 2006), (Haspekian, 2011) pointe, quant à elle, la distinction d’instruments issus d’un
même artefact, qui s’opère dans le cas où le sujet est
un enseignant : l’instrument (issu de l’artefact tableur par
exemple) se dédouble en un instrument personnel du travail
mathématique (de même nature que celui des élèves) et
un instrument professionnel du travail didactique. Les genèses
instrumentales personnelle (GIpe) et professionnelle (GIpro) renvoient à
ces processus respectifs d’instrumentation chez l’enseignant. Ils
peuvent différer dans le temps (cas des calculettes en
général par exemple) ou être concomitants, comme dans le cas
d’artefacts nouveaux, tels les robots ou Scratch. Ces artefacts nouveaux,
dans le cadre d’un enseignement de l’algorithmique ou de
l’informatique, sont amenés à devenir pour les enseignants
des instruments (au sens de Rabardel) didactiques, différents de
l’instrument personnel. Le qualificatif didactique signifie que
l’instrument est, cette fois, au service de la profession. Ici, les
enseignants ont à concevoir des modes d’utilisation professionnels
permettant d’en exploiter les potentialités pour
l’apprentissage de connaissances (ici informatiques, mathématiques,
algorithmiques...). Ces artefacts ont en effet des potentialités pour
l’enseignement de diverses notions de ces domaines qu’ils
embarquent : programme, instruction, algorithme, évènement,
exécution, initialisation, synchronisation, boucle... Ici, une GIpro qui
conduirait à un instrument didactique visant ces connaissances repose sur
ou se développe en même temps qu’une GIpe par laquelle
l’enseignant instrumente lui-même les fonctionnalités
générales de ces artefacts, lui permettant d’en
définir les potentialités et contraintes pour des visées
cette fois didactiques. Haspekian (Haspekian, 2011) étudie, chez une enseignante qui introduit le tableur en classe tout en
découvrant elle-même ses fonctions, les interférences de ces
deux genèses dont le développement concomitant complexifie le
travail. C’est à nouveau le cas des enseignants observés ici
avec les robots ou Scratch : leurs schèmes professionnels sur
l’utilisation didactique de l’outil peuvent coévoluer et
dépendre de leurs schèmes d’action personnels avec ces
outils. Selon Trouche (Trouche, 2005),
même s’il est impossible pour l’enseignant de
« connaître dans le détail le fonctionnement des
artefacts présents dans la salle de classe », une
« réflexion de fond » est néanmoins
nécessaire pour « concevoir les situations » ;
« anticiper les difficultés des
élèves », mais aussi « prévoir,
relativement, les directions dans lesquelles les processus
d’instrumentation et d’instrumentalisation vont se
déployer ». Autrement dit, une GIpe minimale est
nécessaire pour soutenir l’essor d’une GIpro menant à
un instrument didactique fonctionnel pour les savoirs visés. En outre,
lorsque l’outil est destiné à un usage par les
élèves, la GIpro enseignante intègre aussi
l’organisation des GI des élèves, complexifiant le travail
enseignant. Enfin, le fait que les connaissances informatiques à viser
chez les élèves soient elles aussi nouvelles pour
l’enseignant est une difficulté supplémentaire.
2.2. Données recueillies et méthodologie
Les données traitées ici, recueillies sur 2015-16, proviennent
du projet de recherche DALIE (Didactique et apprentissage de l'informatique
à l'école), financé par l’ANR sur 2014-17, qui
interroge la place de l’informatique à l’école
primaire et la faisabilité d’un curriculum, tenant compte des
contraintes institutionnelles, de l’activité enseignante et des
représentations des acteurs (élèves et enseignants). Une
quinzaine de chercheurs de laboratoires situés en France et en
Grèce travaillent à partir d’observations
d’enseignants volontaires pour intégrer robots ou langages de
programmation. Dans le but de se rapprocher des conditions de pratiques
ordinaires, nous avons choisi des enseignants qui ne sont pas
spécialistes de l’informatique et qui ne bénéficient
pas de formation particulière ni de supervision pour concevoir et mettre
en œuvre leurs séances.
Nous nous intéressons ici à l’évolution des
GIpe/GIpro de 5 enseignants, nommés René, Noémie, Alice,
Fanny et Leila. René a utilisé avec ses élèves le
logiciel de programmation Scratch, tandis que les quatre autres enseignantes ont
expérimenté des robots. Nous cherchons à chaque fois
à comprendre l’activité mise en place par les
enseignants : quels choix cognitifs et médiatifs sont
opérés, qu’observe-t-on en termes de
régularités naissantes, quels repères didactiques les
enseignants réussissent-ils ou non à prendre ? Nous avons
alors filmé les premières séances de ces enseignants dans
le cadre de ce nouveau programme et relevé certains documents
professionnels (bilans, fiches de préparation). Nous avons aussi
mené des entretiens individuels (en début de projet, avant et
après certaines séances filmées).
À partir des différentes données, la méthodologie
dans les deux cas a plus précisément consisté à
mettre en lien les GIpe des enseignants et leurs GIpro : à quel
stade en sont-ils de leur genèse personnelle avec ces outils ?
Quelles en sont les conséquences observables en séance sur leurs
GIpro ? Ces conséquences sont observées à deux
niveaux : dans leur gestion des GI des élèves d’une
part, dans les objectifs attribués à leurs séances
d’autre part. Elle a également consisté à analyser
des évolutions éventuellement observées de la GIpro. Pour
cette analyse, précisons que les données choisies se situent
à des échelles différentes d’évolution,
induisant une granularité et donc une méthodologie d’analyse
différente. Nous disposons pour René d’une
« double » vidéo, filmant la même séance
auprès de ses deux demi-classes successives, et captant la
totalité de ses interactions avec les élèves. Ce
matériel permet une analyse locale très fine, proche de
l’activité enseignante, d’une séance
répétée, et sur un temps continu et court. La
répétition donne à voir comment la GIpro de René
entre les deux sessions évolue sur ce court temps. Pour les quatre
enseignantes, nous disposons d’une multitude de vidéos courtes,
filmant des acteurs différents de façon parcellaire au niveau
d’une séance, mais s’étalant cette fois sur plusieurs
mois ! Ce matériel permet de changer d’échelle pour
offrir une vision assez complète des GIpro à l’œuvre
sur l’année entière et appréhender leur
cohérence à travers les évolutions des activités
proposées aux élèves, les interventions et les gestions de
classe.
Pour résumer, nous dégageons de la littérature de
recherche deux réponses à la question de la formation de nouveaux
schèmes :
- le recours à d'anciens schèmes (nous le retrouverons
dans la partie avec les robots), ce qui se forme sur le long terme et justifie
une méthodologie « données longues » comme
c’est le cas ici ;
- l'ajout d’éléments découverts en
situation (ce sont les prises des repères visibles cette fois dans la
partie avec Scratch), ce qui justifie une méthodologie plus fine
permettant de zoomer sur ces instants de découverte.
La suite du texte est donc structurée suivant ces deux entrées.
Que ce soit dans le cas de René, avec le logiciel Scratch, ou celui des
quatre enseignantes avec les robots, nous constatons une faible GIpe et
décrivons son impact sur la GIpro qui manque d’une base solide pour
se développer efficacement et faire de ces technologies des outils
didactiques au service des apprentissages visés dans les programmes
mathématiques ou informatiques. Partant de ce constat, nous nous
demanderons quelle activité se déroule en situation et sur quelles
autres ressources s’appuient les enseignants pour les développer.
Les deux parties présentant ces cas sont structurées suivant le
même plan : tout d’abord une description de
l’activité observée en situation, ensuite une analyse visant
à expliquer ces choix cognitifs et médiatifs. Trois
résultats ressortiront de cette analyse : la mise en évidence
de phénomènes de temporisation et de deux mécanismes de
développement des GIpro :
- par recours à d’anciens schèmes qui vont
s’adapter et devenir des éléments constitutifs de nouveaux
schèmes d’une GIpro ;
- par prise de nouveaux repères conduisant à
l’émergence de nouveaux schèmes de la GIpro.
3. Utiliser Scratch en cycle 3 (CM1)
3.1. Outil et données recueillies
René a choisi d’utiliser Scratch,
logiciel, développé par le MIT, dont le site français des
concepteurs (http://scratchfr.free.fr) souligne les potentialités non
seulement pour l’informatique mais également pour les
mathématiques : « Scratch est un logiciel libre
conçu pour initier les élèves dès l’âge
de 8 ans à des concepts fondamentaux en mathématiques et en
informatique. Il repose sur une approche ludique de l’algorithmique, pour
les aider à créer, à raisonner et à
coopérer ».
Comme indiqué précédemment, nous nous centrons ici sur
l’observation de la deuxième utilisation de Scratch par
René : les données sont constituées de deux
vidéos de 1h30 enregistrant a priori la même séance,
répétée sur deux créneaux consécutifs (la
classe était scindée en deux demi-groupes qui se sont
succédé), et d’un post-entretien réalisé avec
l’enseignant à chaud.
Après une première séance de découverte libre par
les élèves, René se lance dans une seconde utilisation de
Scratch où il a désormais prévu des tâches
précises à faire réaliser. Le choix de cette séance
et son dédoublement présentent trois avantages
spécifiques :
- Nous sommes au tout début de l’utilisation de
Scratch et de la GIpro de René ; quels apprentissages cette GIpro
vise-t-elle : informatiques, algorithmiques, mathématiques,
autres ?
- Une séance où les élèves sont seuls
par poste permet aussi de voir la façon dont René a prévu
de gérer les GI des élèves au niveau des connaissances
artéfactuelles ; quelles fonctionnalités sont visées
dans ce moment de découverte du logiciel, dans quel ordre et
comment ? Nous verrons que René n’a pas préparé
sa séance dans cette approche-là, ayant lui-même peu
identifié ces fonctionnalités.
- Enfin, la répétition de la même séance
sur deux moitiés de classe est une modalité extrêmement
intéressante, elle permettra d’identifier, chez René, des
prises de repères lors de la première séance
réinvestis dans la seconde. En quelque sorte, nous observons la GIpro se
dérouler sous nos yeux.
Un des faits les plus marquants de cette séance
répétée est alors une GIpe trop peu avancée (section
3.2) pour nourrir une GIpro. Ceci impactera la gestion des GI des
élèves avec Scratch (section 3.3) et les objectifs
d’apprentissage définis par l’enseignant (3.4). Un autre fait
marquant auquel la répétition de la séance nous donne
accès est, comme dit plus haut, l’évolution quasi
« en direct » de la GIpro de l’enseignant (en
même temps que celle de sa GIpe). On voit René prendre des
repères didactiques (3.5) avec le premier demi-groupe, pour certains
immédiatement réinvestis dans la séance avec le demi-groupe
suivant.
3.2. Une GIpe trop peu avancée
Au niveau instrumental, la séance prévue comporte 2
consignes :
- bouger deux lutins (personnage ou objet) en même
temps ;
- bouger deux lutins successivement avec une seule commande de
départ (ceci vise à faire dépendre l’action du second
lutin de celle du premier, par exemple en faisant communiquer les lutins par la
commande « message »).
La première consigne à elle-seule requiert plusieurs
connaissances instrumentales, dont certaines mobilisent des connaissances
mathématiques. Trois d’entre elles peuvent constituer des sources
de difficultés pour les élèves à ce stade de leurs
GI avec Scratch :
- prendre conscience des coordonnées pour contrôler un
minimum les positions d’un lutin à l’écran ;
- prendre conscience de la nécessité de définir
un point de départ pour positionner les lutins (idem pour
l’orientation si celle-ci est amenée à être
modifiée par le programme) ;
- prendre conscience de l’existence de « scripts de
scénario » (programmes) associés à chaque
personnage et à chaque scène (une page de scripts par lutin,
nécessitant de changer de page en sélectionnant les divers lutins
au gré des scripts sur lesquels on souhaite travailler).
La connaissance instrumentale A (coordonnées des objets) porte
des connaissances mathématiques sur le repérage dans un plan. Bien
que les notions d’abscisse et d’ordonnée ne soient pas au
programme de CM1 (la définition de coordonnées dans un
repère orthogonal est un objectif mathématique du cycle 4), le
repérage type bataille navale sur un plan quadrillé est bien
présent dans les programmes du cycle 3, dans le volet Espace et
géométrie, où l’usage d’un logiciel fortement
apparenté à Scratch est mentionné,
précisément sous la rubrique « Se repérer et se
déplacer dans l’espace ». On y précise les
connaissances et compétences : « Programmer les
déplacements d'un robot ou ceux d'un personnage sur un
écran » et « Vocabulaire permettant de
définir des positions et des déplacements ».
L’exemple associé indique : « Situations donnant
lieu à des repérages dans l'espace ou à la description, au
codage ou au décodage de déplacements ». De plus,
l’annexe 5.3 du programme « Initiation à la
programmation : Scratch–Premières activités »
est entièrement axée sur le repérage à
l’écran, dans un modèle de type grille, d’un objet sur
un arrière-plan quadrillé. Dans Scratch, deux coordonnées x
et y, affichées automatiquement lorsque le pointeur est sur
l’espace de déplacement, indiquent les positions des lutins. La
consigne de René peut donc viser cet objectif d’apprentissage
mathématique. Au niveau de l’instrumentation par les
élèves, la connaissance de cette fonctionnalité est
cependant un minimum pour repérer et contrôler les
déplacements des lutins : il faut savoir que le nombre
affiché en x indique un déplacement le long d’un axe
horizontal, et celui affiché en y un déplacement le long
d’un axe vertical. Elle est nécessaire aussi pour donner une
position de départ et ainsi contrôler le déplacement des
personnages dont la position va évoluer dans le programme.
De même, la connaissance B (nécessité d’un
positionnement de départ portant sur la position, voire sur
l’orientation si celle-ci est amenée à être
modifiée au cours du programme) n’est pas évidente.
Après une première exécution d’un programme avec
mouvement (tels ici « Aller à » ou
« Glisser »), aucun feedback n’indique que le lutin
doit être repositionné à son point de départ en vue
d’un futur essai. Ce n’est qu’au deuxième essai que
l’élève s’en aperçoit, le lutin restant cette
fois fixe. Ce problème n’est pas compris par les
élèves, aucun de ceux observés n’a réussi
à en saisir seul l’origine. Une difficulté analogue
d’initialisation se constate avec les commandes d’orientation.
Enfin, la fonctionnalité mentionnée en C (scripts
propres aux lutins et passage du script d’un lutin à un autre)
n’est pas intuitive non plus, les personnages étant
généralement tous deux visibles alors qu’une seule page de
scripts, celle du lutin, est affichée (cette sélection
étant d’ailleurs peu visible). Ainsi, au cours de l’action,
après avoir défini un nouveau lutin, il n’est pas
évident de comprendre que des programmes sur une autre page lui seront
associés, ni que, pour y accéder, il faudra sélectionner au
préalable le lutin en question.
Les déroulements effectifs des séances avec les deux groupes
montrent que René n’avait prévu de travailler ni A,
ni B, ni C, n’ayant pas lui-même pris conscience de la
mise en jeu de ces connaissances, lesquelles ont bien constitué des
points de difficultés pour les élèves (cf. 3.3). Cette
non-anticipation de la part de René, indice d’une GIpe encore
débutante, ne le met pourtant pas en difficulté dans la
séance, il utilise au contraire cette caractéristique
d’être lui-même en « découverte »,
pour montrer que les connaissances ne sont pas science infuse mais qu’on
apprend en cherchant. C’est ainsi que le déroulement
général des deux séances montre à plusieurs reprises
l’enseignant exprimant lui-même une connaissance insuffisante des
diverses commandes et fonctionnalités de Scratch : « Tu
vois moi aussi je découvre » ; « Alors...
euh..., ben essayons... moi j’sais pas... ». Avec le second
groupe, nous retrouvons cette position assumée de novice, bien que moins
souvent, indice que le recours à cette technique de gestion des
élèves dans cette situation nouvelle, n’est pas
nécessairement voulue mais un moyen pour René de temporiser, le
temps d’accroître sa GIpe et, par la suite, sa GIpro pour aider les
élèves au niveau des fonctionnalités instrumentales de
Scratch : « Peut-être... J’sais pas... moi
j’ai mis une heure... » ; « quand je
saurai... mais pour le moment... ».
D’autres indices d’une GIpe peu avancée sont aussi
visibles lors d’interactions sur des difficultés plus
précises que les élèves rencontrent eux-mêmes avec
Scratch. Quelques exemples sont détaillés dans la section suivante
qui montrent des connaissances manquant à René pour pouvoir
comprendre l’origine des problèmes, réagir sur le vif,
débloquer et faire avancer les genèses instrumentales des
élèves.
3.3. Conséquences sur la GI pro quant à la gestion des GI des
élèves avec Scratch
En référence à notre analyse, les extraits suivants
montrent que l’enseignant n’avait anticipé ni A, ni B, ni C. Il découvre ces connaissances avec les
élèves. Les problèmes associés surgissent en effet
plusieurs fois, poussant les élèves à solliciter
l’enseignant. Ces problèmes liés à A, B ou C donnent alors lieu à 3 types de conduites de la part de
René : ils sont soit résolus par lui-même, soit non
résolus et attribués à des fonctions qui « ne
marchent pas », soit enfin écartées sans plus
d’explications.
Par exemple, une élève qui a essayé le
déclenchement par message ne comprend pas ce qui se passe quand elle
lance le programme (le second personnage n’a pas de position de
départ ; connaissance B). René ne comprend pas non
plus. Il observe, puis émet une hypothèse :
« Peut-être que ta position de départ n’est pas
bonne ? ». Il exécute ensuite à nouveau le
programme, regarde les coordonnées, réfléchit...
Après 1min30, il dit : « Ah, oui ! » et
fait ajouter la position de départ manquante. Plus loin, avec un autre
élève : « Tu vois, moi aussi je
découvre ». Cette situation assumée de
découverte est répétée plusieurs fois :
« essaye autre chose, moi aussi hein, j’sais pas, moi aussi
je découvre un peu ». D’autres fois, le
dysfonctionnement n’est pas compris, et le problème est
laissé de côté.
Avec le groupe 2, des phénomènes analogues se produisent.
René ne parvient pas à aider une élève dont un seul
des deux lutins bouge à la première exécution, et aucun
à la seconde. S’il observait les coordonnées finales
affichées à l’écran (connaissance A), il
verrait pourtant que les commandes se sont bien exécutées. Il se
trouve en difficulté car les programmes comportent des mouvements
d’orientation et de déplacement mais les positions des lutins sont
proches des bords de l’écran ce qui masque ces mouvements.
D’autre part, le programme comporte aussi une commande de rebondissement,
elle aussi non visible à l’exécution car instantanée.
René qui ne détecte donc pas les mouvements et déplacements
conclut : « y a un problème (...) Attends, je vais
euh... Regarde le ‘Glisser’, il est sympa. ». En
effet, « Glisser en 1 seconde à » n’est
pas une commande instantanée, elle comporte par défaut un temps
d’exécution d’une seconde, et le déplacement est enfin
visible !
3.4. Conséquences sur la GIpro quant à la définition
des enjeux d’apprentissage avec Scratch
Comme indiqué plus haut, Scratch apparaît dans les nouveaux
programmes de mathématiques avec des visées d’apprentissage
sur les repérages et déplacements dans un plan. Nous observons que
René décale ces visées vers d’autres objectifs :
certains s’attachent à une discipline que l’on pourrait
qualifier de « substitution » (le Français),
d’autres sont des objectifs transversaux, non disciplinaires.
En effet, la GIpe de René, encore au stade de la découverte,
fait qu’il en sait lui-même trop peu sur le fonctionnement de
Scratch pour en faire un outil didactique d’apprentissage de concepts
algorithmiques, mathématiques ou informatiques. René
n’identifie pas ces savoirs dans Scratch. Par exemple, le vocabulaire
employé est fluctuant : avec le groupe 1, le terme
« coordonnées » est remplacé par
« codes du personnage » avant de redevenir
« coordonnées ». Avec le groupe 2,
« coordonnées » est cette fois presque
institutionnalisé en début de séance, mais redevient plus
loin « codes de déplacement ». De même les
termes géométriques « degrés »,
« angle », « rotation » qui avaient
l’occasion d’être discutés ici ne sont jamais repris
par René.
Ainsi la GIpro a du mal à se développer dans une direction qui
ferait de Scratch un outil d’enseignement des notions visées par
les programmes scolaires (algorithmique, programmation mais aussi
déplacements dans un plan, repères). N’identifiant pas ces
savoirs dans ce nouvel outil, René déplace l’usage effectif
de Scratch sur deux autres visées : des apprentissages plus
transversaux (chercher, explorer, tester, développer les interactions
entre pairs, travailler en groupe), et une discipline moins attendue, se
substituant à celles du programme, identifiée par René
comme propice au travail avec cet outil : le Français. René
vise des compétences en lecture, compréhension de consignes,
écriture à travers le projet d’écrire une histoire,
à travers aussi l’enchaînement d’actions dans le temps,
et l’importance de planifier et d’ordonner des
événements pour créer un récit. Ces visées
sont déclarées dans les entretiens et à nouveau dans les
séances observées où René les répète
plusieurs fois au chercheur qui filme. Il nous dit aussi dans l’entretien
post séance 2 : « C’est un vrai exercice de
lecture ! (...) il y a des mots de déplacement (...) c’est
pour ça que je pense qu’il y aura un passage
d’écriture en classe ». Plus loin :
« j’avais perçu le rapport à
l’écriture avant, mais alors là, autant de lecture,
j’me rends compte s’ils lisent pas bien leurs briques, ils peuvent
pas se..., euh..., programmer ».
Ces choix permettent à René de temporiser, le temps
qu’une GIpro de Scratch s’installe (incluant adaptation de
schèmes anciens et nouveaux repères comme on le verra dans la
suite). Notons que ces choix de temporisation se font par réduction de la
distance instrumentale introduite par Scratch.
3.5. Évolution de la GIpro grâce à une prise de
repères
René évolue dans sa gestion des séances. Par exemple, le
geste professionnel consistant à faire éteindre les écrans
lors des temps collectifs (idée apportée
précédemment par un enseignant-ressource) est maintenant
systématiquement utilisé. René l’emploie à
nouveau ici dans les bilans et dans les débuts de séance. Il nous
glisse en aparté : « j’y avais jamais
pensé, mais c’est..., c’est radical ! ».
D’autres évolutions sont ici observées. Comme dit plus
haut, nous avons notamment comparé les deux séances et les
processus en jeu autour des connaissances A, B et C.
René répète sa séance sur deux demi-classes.
Cette répétition génère un début de GI tant
personnelle que professionnelle. Dans la GIpro, les schèmes
professionnels d’action instrumentée avec Scratch pourraient
comporter les ingrédients présentés dans le tableau 1, qui
proviennent d’une réactivation de schèmes antérieurs
en même temps que d’apports liés à la situation
nouvelle.
Les conduites observées sont encore à un stade très
précoce de développement. Elles ne permettent pas d’aller
jusqu’aux schèmes tels que décrits par Vergnaud (Vergnaud, 1990).
Comme nous l’avons dit, l’enseignant semble n’avoir
prévu ni A, ni B, ni C. Les observations montrent en
outre que le vocabulaire lié à Scratch est fluctuant (par exemple
« page » désigne tantôt le script tantôt
le plan de déplacement), nous avons évoqué plus haut un
autre exemple avec le vocabulaire lié aux coordonnées. S’il
souhaitait institutionnaliser ces objets, les termes manqueraient à
René. Ces connaissances ont ainsi manqué d’une part aux
élèves, ce qui les a freinés dans leur utilisation de
l’outil, d’autre part à l’enseignant, ce qui l’a
freiné dans ses aides aux élèves.
Néanmoins, l’observation des séances, notamment des
interactions avec les élèves, montre certains repères pris
qui traduisent des évolutions au fil de ces 2 séances :
- à la fin de la séance 1, René a clairement
pris conscience de la connaissance A ;
- la prise de conscience de la connaissance B arrive elle
aussi, en cours de séance 2, mais de façon plus fragile ;
- en revanche pour la connaissance C, nous avons peu
d’indices prouvant une prise de conscience.
En effet, pour A, en fin de séance 1, René pointe cette
fois directement cette connaissance (sans pour autant chercher à
connaître le repère qui génère ces
coordonnées) auprès des élèves concernés,
puis la mentionne collectivement avec le groupe 2. Dans l’entretien
post-séance, il dit lui-même avoir découvert le
problème lié à la connaissance A pendant la
séance : « les coordonnées du pointeur
étaient affichées à
l’écran ! ».
Tableau 1 • Ingrédients de
schèmes participant à la GIpro de René à ce
stade
Les débuts de séance subissent également une
évolution et ne sont pas conduits de la même façon. Avec le
groupe 1 : aucune des difficultés A, B ou C n’est mentionnée dans la présentation collective du
début d’heure. Avec le groupe 2, le moment collectif de
début de séance est plus structuré. René y mentionne
cette fois d’emblée le point A au niveau des
coordonnées, mais sans le repère sous-jacent permettant le
contrôle mathématique. La fonctionnalité d’affichage
des coordonnées reste alors, à ce stade, mystérieuse,
fonctionnant comme une boîte noire.
Les points B et C ne sont pas mentionnés mais en cours
de séance 2, René prend conscience de B et, une fois ce
repère pris, est capable d’aider les élèves
lorsqu’il leur manque une position initiale. Un indice de cette prise de
repère est le regret qu’exprime explicitement René au cours
de la séance 2 à plusieurs reprises auprès des
élèves de n’avoir pas aussi précisé cette
difficulté en début de séance, collectivement.
Enfin, comme René n’évoque jamais C et que les
difficultés liées à cette connaissance persistent
jusqu’à la fin, nous faisons l’hypothèse qu’il
n’a pas perçu cette information dans le cours de la situation,
celle-ci n’est pour l’instant pas un repère didactique pour
l’enseignant.
Le tableau 2 résume l’évolution des GIpe et GIpro de
René sur ces trois connaissances le long de ces séances
consécutives.
Tableau 2 • Évolution des
GIpe/GIpro de René sur les 3 connaissances en jeu
3.6. Résumé du cas de René
Cette GIpe de Scratch bien peu avancée chez René a eu plusieurs
conséquences : elle est à l’origine de sa
difficulté à faire avancer les GIpe des élèves, mais
aussi des faits suivants (observations qui se dégagent de notre
méthodologie sur les plans cognitif et médiatif) :
- déplacement des connaissances visées vers
d’autres domaines :
• recours au français,
• recours à des visées transdisciplinaires et
socialisantes ;
- orchestrations organisées en binômes et travail en
groupe ;
- posture enseignante assumée de novice en situation de
recherche ;
- pas d’institutionnalisation en fin de
séance ;
- évolution de la GIpro (on observe des modifications entre
le groupe 1 et le groupe 2, grâce à des prises de repères
avec le groupe 1).
Ces choix cognitifs et médiatifs (faits 1 à 4)
s’expliquent par la recherche d’une temporisation (faits 3, 4 et
sans doute fait 1) ainsi que par deux autres mécanismes qui jouent dans
le développement de schèmes de la GIpro :
- la réduction de la distance permettant de recourir à
des schèmes anciens (faits 1, 2) ;
- la prise de repères nouveaux (observée dans
l’évolution décrite dans la partie 3.5).
Les points 1 à 4 se retrouvent dans l’expérimentation
avec les robots qui montre aussi une évolution des GIpro avec cette fois
le recours net à des schèmes anciens.
4. Utiliser les robots aux cycles 2 et 3 (CP, CE1, CM1, CM2)
4.1. Outils, acteurs et données recueillies
Les quatre enseignantes auxquelles nous nous
intéressons participaient à un groupe de travail
départemental (4 réunions dans l’année) qui
réunissait des chercheurs, des inspecteurs et des conseillers
pédagogiques, pour traiter les problèmes matériels et
suivre l’avancée des expérimentations avec les robots. Les
tableaux 3 et 4 précisent les dotations de robots et les données
filmées qui recouvrent la période des expérimentations.
Comme mentionné plus haut, nos vidéos relatent, pour une
séance donnée, une multiplicité d’épisodes de
travail de durées variables, collectifs ou en petits groupes. Même
si toutes les séances n’ont pas été filmées,
l’analyse des vidéos, les verbatim des réunions du groupe
départemental et les entretiens individuels dévoilent des
éléments précis des GIpe et GIpro des enseignantes.
Les quatre enseignantes ayant l’habitude de travailler ensemble avaient
développé des conceptions, approches et styles
d’enseignement très proches (pédagogie par projets, travail
en groupe, pari du socioconstructivisme). Cette proximité de pratiques
permet de présenter une analyse commune de leurs genèses
instrumentales.
Tableau 3 • Fonctionnalités des
différents robots expérimentés
Tableau 4 • Répartition des
robots et vidéos recueillies.
Dans les paragraphes suivants, nous examinons les
GIpro des enseignantes, en nous intéressant à la genèse de
leurs schèmes. Nous distinguons, d’une part, les schèmes
issus de schèmes anciens, et, d’autre part, ceux nouveaux,
construits en situation. À chaque fois, nous décrivons ce que nous
avons observé avant d’en livrer quelques analyses.
Nous commençons par quelques éléments sur la
connaissance du domaine de l’informatique par les enseignantes et
l’avancement de leurs GIpe relatives aux robots, qui éclairent et
expliquent les orientations de leurs GIPro.
4.2. GIpe des enseignantes et conséquences sur leurs objectifs
d’apprentissage
De par ce groupe de travail, les enseignantes cernent bien la présence
d’un domaine nouveau, l’informatique, mais affirment
régulièrement ne pas être à l’aise avec. Aussi,
elles n’ont pas cherché à identifier ni à expliciter
auprès des élèves des concepts informatiques qui auraient
pu constituer des objectifs d’apprentissage, comme les notions de
programme, d’instruction, d’exécution ou d’algorithme.
Elles ont une perception assez floue de l’informatique, comme le montre
cette intervention de Leila qui précise : « Je pense
qu'en leur donnant [aux élèves] du matériel avec un projet
à réaliser, le fait d’avoir à penser un certain
nombre d'actions qui vont s'enchaîner pour arriver à leur objectif,
ça développe la pensée informatique ». Leur
choix est ainsi de travailler « en acte »
l’informatique et ses concepts, à travers l’appropriation des
robots qui ont accaparé toute leur attention.
Si les connaissances informatiques ne figuraient pas dans leurs objectifs
d’apprentissage explicités, les enseignantes, en revanche, ont
formulé d’autres savoirs. Ces savoirs ne furent cependant pas
institutionnalisés et n’eurent donc pas le caractère
solennel que l’on donne à de nouvelles connaissances. Il
s’agissait de savoirs anciens, déjà connus des
élèves dans d’autres contextes et qui étaient ici
seulement réactivés. Tel est le cas, par exemple, de connaissances
transversales liées à la résolution de problèmes en
général et à la démarche expérimentale qui
fut maintes fois réaffirmée auprès des élèves
(émission d’hypothèses, expérimentations sous ces
hypothèses, analyse des résultats et réitération
avec de nouvelles hypothèses). Des connaissances d’autres
disciplines furent également verbalisées mais seulement au titre
d’une démarche de projet fédérant plusieurs
disciplines, et en amont ou en aval des séances avec les robots, jamais
pendant les expérimentations observées.
En début d’année, les enseignants ne disposaient que
d’une connaissance première du fonctionnement des robots,
affinée au fil des mois en observant les travaux des
élèves. Leur GIpe était ainsi peu avancée et
s’est poursuivie tout au long des séances. Si les connaissances
instrumentales nécessaires au pilotage des robots peuvent paraître
simples de prime abord (appui sur les touches de direction de Bee-bot et ProBot,
modes de fonctionnement aisément repérables de Thymio), elles
s’avèrent en réalité plus complexes qu’il
n’y paraît, du fait d’exceptions et de multiples finesses
inhérentes aux différentes commandes.
Les GIpe des enseignantes sont ainsi restées peu avancées et
trop peu assurées pour leur permettre d’affronter les
difficultés des élèves et débloquer ces derniers si
nécessaire. Le discours des enseignantes à ce propos est
très explicite, à l’image de celui de Fanny qui
explique : « J’étais dépassée par
les évènements car [les élèves] faisaient des choses
trop compliquées, je ne voyais pas où était
l’erreur ».
Les vidéos donnent de nombreux exemples d’interactions avec les
élèves attestant d’une GIpe peu assurée, y compris
vers la fin de l’année. Alice attend la mi-année et la
présentation d’un élève pour découvrir la
possibilité d’intégrer une distance dans l’instruction
de déplacement de ProBot. Leila, vers le dernier tiers de
l’année, ne sait expliquer à un groupe
d’élèves perplexes pourquoi Thymio ne se laissait plus
guider par un objet alors qu’il était en mode
« suiveur ». La prise en compte prioritaire
d’obstacles trop proches, qui provoquaient alors un arrêt ou
même un recul du robot, lui avait échappé. D’une
façon analogue, Noémie avait sous-estimé l’importance
à attribuer à la touche d’effacement d’instructions du
robot Bee-Bot. Il arrive que les élèves, après avoir
exécuté une suite d’instructions qui ne conviennent pas,
testent un autre programme sans effacer préalablement l’ancien. La
nouvelle suite d’instructions se rajoute donc à l’existante
et amène le robot à reprendre en apparence le comportement
erroné déjà observé. Pendant les premières
séances, Noémie ne comprend pas d’où provient la
reproductibilité des trajets programmés malgré les
corrections, elle n’a pas encore attribué à la commande
d’effacement d’instructions toute l’importance
nécessaire.
4.3. Évolution des GIpro grâce à des schèmes
anciens mobilisés
L’effacement, dans les objectifs d’apprentissage, des
connaissances informatiques et la verbalisation, par les enseignantes, de
connaissances transversales ou issues d’autres disciplines ont ouvert la
voie à la mobilisation de schèmes anciens correspondant à
des pratiques éprouvées dans d’autres contextes
d’apprentissage présentant des proximités avec les
éléments en jeu ici : situations exploitant un milieu
matériel, situations de travail en groupes d’élèves,
situations d’organisation d’une séquence cohérente et
progressive sur un temps long. Nous les détaillons ci-après.
Les enseignantes ont l’habitude d’organiser des apprentissages
recourant à un milieu matériel sur lequel
l’élève agit. Ces situations se trouvent, entre autres, en
sciences (croissance des plantes, phénomènes en physique) et en
mathématiques (matériel pour la numération de position,
pour la notion de volume...). Pour gérer ces situations
d’apprentissage avec milieu matériel, les enseignantes ont
développé des schèmes tels que ceux évoqués
dans le tableau 5.
Tableau 5 • Éléments de
schèmes anciens participant à la GIpro : milieu
matériel
La manipulation des robots que les élèves doivent programmer
active ces schèmes parfaitement opérationnels. Les enseignantes
ont maintes fois exprimé ce recours, comme le formule Noémie, en
évoquant la règle de travail en groupe : « En
groupe, j’étais à l’aise, je maîtrise pas trop
mal, j’avais en tête mon rôle en tant qu’enseignante
pendant le travail en groupe ».
Les schèmes anciens liés au travail en groupe montrent quant
à eux des adaptations. En effet, les travaux en groupes mènent
souvent, en fin de séance, à une phase
d’institutionnalisation des connaissances. Ici, aucune
institutionnalisation n’a eu lieu tout au long de l’année, ni
de connaissances informatiques, ni de connaissances instrumentales liées
aux robots. Les enseignantes n’ont jamais statué sur ces types de
savoirs qu’elles n’ont à aucun moment formulé. Leur
méconnaissance du domaine et leur propre GIpe liée aux robots,
encore en construction, les ont amenées à se mettre en retrait et
ne pas s’exposer.
Pour autant, les enseignantes n’ont pas renoncé à des
phases de bilans collectifs à chaque fin de séance. Le
schème ancien de travail en groupe comprenait en effet la
nécessité d’organiser collectivement la circulation des
expériences et des acquis des élèves pour assurer
l’apprentissage de chacun. Ces phases de bilans collectifs ne comportaient
donc aucune institutionnalisation de connaissances, mais se fondaient uniquement
sur la restitution par les élèves de leurs travaux. Les
enseignantes posaient des questions, confrontaient des points de vue et
organisaient des débats entre élèves sans jamais prendre
position. Elles relançaient la dynamique des échanges par des
questions relatives à la réussite des actions
(« Est-ce que tu y es arrivé ? »), aux
démarches suivies (« Le mode vert de Thymio, comment tu le
sais ? ») ou aux outils proposés
(« Est-ce que la bande programmation t’a
aidé ? »). Elles ne tranchaient pas : elles ne
validaient ni n’infirmaient les assertions et résultats
présentés. Elles ne hiérarchisaient pas non plus les
interventions des élèves, les valorisant de façon
égale, quel que soit leur intérêt réel par rapport
à la résolution des situations. Des propositions hors du champ
mathématique ou informatique, telles que « Le robot ralentit
quand il est déchargé », se voyaient ainsi autant
considérées que des déductions plus fines sur le
fonctionnement du robot.
Enfin, les enseignantes ont également utilisé des
schèmes anciens liés à l’organisation, sur un temps
long, d’une progression de tâches à résoudre (tableau
6).
Ce schème est souvent mobilisé par les enseignantes pour des
apprentissages en mathématiques ou en français ; il organise
les différentes tâches dans un ordre croissant de
difficulté : application immédiate,
situations-problèmes, situations de recherche et problèmes
ouverts.
Tableau 6 • Éléments de
schèmes anciens adaptés aux robots : organiser une
séquence cohérente et progressive sur un temps long
4.4. Évolution des GIpro grâce à des schèmes
nouveaux qui émergent en situation
Le recours à des schèmes anciens bien maîtrisés
n’a pas suffi aux enseignantes pour assurer des apprentissages qui les
satisfaisaient. Elles ont également élaboré des composantes
de schèmes nouveaux propres à l’utilisation des robots. Nous
en donnons deux exemples.
Les enseignantes ont repéré l’importance de la
programmation des robots et la nécessité de faciliter cette
activité des élèves. Ces repères les ont
guidées vers un nouveau schème (tableau 7), celui d’une mise
à distance de l’action, schème que la manipulation des
robots a rendu nécessaire. Il est en effet possible de les programmer
très rapidement (par simples appuis successifs des touches de
déplacement) et d’exécuter instantanément le
programme courant par une simple touche.
Toutes les enseignantes se sont ainsi retrouvées devant des groupes
d’élèves qui entraient, parfois avec frénésie
et sans réflexion réelle, une suite approximative de
déplacements testés sans attendre puis modifiés tout aussi
rapidement, sans réflexion. Ceci se doublait généralement
de tensions vives au sein des groupes, chacun voulant manipuler seul le robot du
groupe. D’abord désarmées, les enseignantes
élaborèrent alors progressivement des techniques de mise à
distance de l’action en imposant aux élèves, avant tout
nouvel essai, de mener une réflexion sur les raisons d’un
échec. Le caractère nouveau de ce schème est indiqué
par les interviews et interventions des enseignantes lors des réunions,
ainsi que par le temps de sa mise en place, nécessitant deux à
trois séances, contrairement aux schèmes anciens plus
immédiatement mobilisés.
Tableau
7 • Ingrédients d’un schème nouveau de mise
à distance de l’action
Lors des entretiens individuels et réunions, les enseignantes ont par
ailleurs mentionné l’étape décisive que
représentait, pour elles, l’acceptation de ne maîtriser ni le
fonctionnement des robots ni les concepts informatiques en jeu, induisant un
changement de posture par rapport aux élèves, l’enseignant
cessant d’être un référent détenant le savoir
visé. Habituellement, elles maîtrisaient les connaissances en jeu
dans les situations proposées. Ici, l’avancement insuffisant de
leurs connaissances informatiques et de leurs GIpe relatives aux robots ne leur
permettait ni d’affronter toutes les configurations choisies par les
élèves, ni de répondre à leurs interrogations.
C’est une configuration nouvelle qui les projetait dans une forme
d’insécurité professionnelle. Fanny déclarait par
exemple : « J’étais dépassée par
les évènements car [les élèves] faisaient des choses
trop compliquées, je ne voyais pas où était
l’erreur ». L’acceptation consciente de
l’insuffisance de leur maîtrise des robots et le changement de
posture qui en résultait vis-à-vis des élèves
représenta un véritable déclic qui leur permit
d’avancer et d’organiser dynamiquement leur classe. Fanny formula
explicitement cette décision d’adopter cette nouvelle
posture : « J’ai découvert en même temps
que les enfants, j’ai assumé que je vais faire en même temps
que les élèves ». Alice montra également
à quel point fut cruciale la décision d’admettre
posséder des connaissances lacunaires sur les robots. Elle sortit ainsi
d’un état de stress bloquant et procéda à des
avancées décisives qui débouchèrent sur la
mobilisation de schèmes anciens, parfaitement
maîtrisés : « J’étais morte de
trouille, [les élèves] découvraient ces objets, et moi je
me rabattais vers ce que je savais faire, j’avais choisi de me rassurer,
je suis partie de ce que je savais faire ». Nous identifions ici
les prémisses d’un nouveau schème, qui a vocation à
être temporaire, mais qui a été décisif dans ces
configurations, engendré en situation par les enseignantes, et leur
permettant d’avancer dans leurs GIpro. Le tableau 8 en donne les
constituants.
Tableau 8 • Un schème temporaire de
changement de posture du maître.
5. Discussion et perspectives
5.1. Deux leviers pour des pratiques nouvelles
Un trait commun à ces séances avec les
robots ou Scratch est la facilité apparente avec laquelle les enseignants
les géraient malgré les conditions difficiles. Non formés
aux outils et n’ayant pas même identifié des savoirs
mathématiques ou informatiques en jeu, ils ne se retrouvent pourtant
à aucun moment en difficulté en classe. Nous avons relevé
deux leviers qui sont utilisés pour conduire ainsi
l’activité nouvelle, les deux échelles de temps mettant plus
particulièrement l’un ou l’autre sur le devant de la
scène.
Le premier levier est le recours à des pratiques anciennes,
particulièrement montré, à une échelle de temps
long, dans l’expérimentation avec les robots, mais utilisé
aussi par René : « même si j’connais pas
bien le domaine, bon voilà, j’ai des ressorts pédagogiques
que j’emploie ».
Les mécanismes d’ajustements et adaptations d’anciens
schèmes dont parle Vergnaud, pour des situations différentes mais
en continuité avec celles connues, ont donc fonctionné aussi ici
pour des situations considérablement nouvelles. Une condition importante
semble avoir joué : la possibilité pour les enseignants de
réduire la part de nouveau afin de pouvoir faire fonctionner des
schèmes anciens. Tout se passe comme si nos 5 enseignants
s’appuyaient sur des « ressorts » pédagogiques
(pour reprendre les termes de René) provenant d’expériences
antérieures, comme nous le constatons dans les invariants
opératoires relevés dans le cas des robots, les outillant pour ces
séances innovantes, lesquelles donneront à leur tour leur lot de
repères d’enseignement. Si les situations nouvelles peuvent se
rattacher à d’anciennes, c’est que malgré leur
nouveauté, les enseignants ont réussi à y voir des
proximités avec (ou à organiser) des situations proches de ce
qu’ils pratiquaient déjà. Ils ont créé les
conditions favorables pour que la nouvelle situation ne soit pas trop distante.
Par exemple, même si les repères acquis ne leur suffisent pas
encore à identifier des visées possibles d’apprentissages
mathématiques ou informatiques (même si on en voit un début
chez René avec l’identification, en fin de séance 1, de
l’importance des coordonnées, ou, chez les enseignantes, avec
l’importance du programme entré dans les robots), notre analyse des
buts et sous-buts des séances, montre que les enseignants se sont
tournés vers des visées ou domaines de substitution dont les choix
(apprentissages transversaux, français ou sciences) pourraient à
nouveau s’expliquer par la recherche d’une distance minimale
à leurs pratiques usuelles. Les deux expérimentations montrent
ainsi comment les choix des enseignants dans ces situations innovantes leur ont
permis d’utiliser des schèmes professionnels anciens qui ont pris
le relais le temps que leur GIpro se développe, c’est à dire
que des schèmes nouveaux s’installent : ils ont
organisé les conditions telles que la distance aux anciennes pratiques ne
soit pas hors de portée.
Un second levier est la prise de repères sur des
éléments pertinents de la situation, particulièrement
montré à une échelle de temps court, se focalisant sur un
moment de développement de GIpro dans l’expérimentation avec
René, mais visible également chez les enseignantes avec les
robots. Pour René, c’étaient les connaissances A, B et C (mêlant connaissances mathématiques et
instrumentales), mais aussi leurs conséquences didactiques en
termes :
- d’erreurs possibles des élèves ;
- d’aides possibles de l’enseignant à apporter au
cas par cas ;
- de conduite possible par l’enseignant du moment collectif de
début de séance (par exemple avertir collectivement que le
personnage a des « coordonnées », même si le
mot n’est pas encore celui-là) ;
- de règles de contrôle ; par exemple pour la
connaissance B (nécessité d’initialiser une position), une
règle que René a commencé à mettre en place, face
à des erreurs d’élèves, a été de
regarder systématiquement le début du script pour y
contrôler la présence ou non d’une position initiale
(à tel point que parfois il a commencé à attribuer cette
explication à d’autres erreurs, avant de s’apercevoir que
cela ne résolvait pas la difficulté observée).
Ces repères cognitifs et médiatifs sont de bons candidats pour
contribuer au développement ultérieur de règles de
conduite, d’invariants comme de concepts-en-acte et finalement de
schèmes d’une GIpro faisant de Scratch un instrument didactique du
travail de René.
Les deux leviers n’agissent pas indépendamment, repères
nouveaux et distance aux anciens schèmes, ou encore repères
anciens réutilisés dans une situation nouvelle, distante mais pas
trop, semblent ainsi jouer l’un avec l’autre. Les deux
expérimentations soumettent l’hypothèse que le recours au
levier « anciens schèmes » est une façon de
temporiser, le temps d’acquérir suffisamment de repères pour
générer des schèmes qui ne seraient plus de simples
ajustements d’anciens, mais de nouveaux schèmes adaptés
à une nouvelle classe de situations.
En effet, les deux expérimentations montrent des stratégies de
« temporisation », autre trait commun : les
enseignantes avec les robots prennent la décision comme nous
l’avons vu de repousser toute institutionnalisation de connaissances
instrumentales ou informatiques, se donnant le temps avant de s’exposer.
Pour gagner du temps pour en connaître plus, dans l’interview post
séances, René, lui, dit : « il me semble prudent
que moi... il faut que j’explore (...) parce que j’ai essayé
en fait euh, j’m’en suis pas trop bien sorti. Donc j’pense
qu’il faut refaire une semaine de plus d’exercices de... euh..., de
découvrir un peu (...) ça peut être bien. Avant de les
lancer sur un projet. ».
En conclusion, nous saisissons un processus dynamique, en cours, dans lequel
l’inédit est ainsi géré par l’enseignant soit
par la construction de nouveaux repères didactiques qui vont donner lieu
à de nouvelles connaissances au fil des séances et, par la suite,
à de nouveaux schèmes, soit par le recours à des
stratégies de réduction de la distance permettant de revenir
à des situations anciennes, et donc à des schèmes
connus.
Dans la suite, nous approfondissons cette dialectique distance-repères
qui permet de donner un cadre pour penser des adaptations réactives et
rapides des enseignants, comme ceux étudiés ici.
5.2. Distance aux pratiques habituelles et repères
Bien qu’on ne puisse tirer de généralités de
quelques cas d’études, il nous semble que les
phénomènes relevés ici, de réduction de la distance
et de prise de repères, peuvent se formuler comme hypothèses pour
expliquer et comprendre les pratiques observées dans les situations
d’enseignement lorsqu’il s’agit d’intégrer du
« nouveau ». En effet, ces conclusions observées ici
dans les deux cas d’étude, sur cinq enseignants, rejoignent
d’autres travaux et trouvent une assise théorique grâce
à la notion de schème.
Un schème est une organisation de l’activité (avec
connaissances, invariants opératoires et buts) qui possède une
stabilité au sein d’une classe de situations. Ici, observant des
pratiques naissantes, nous n’avons pas encore ce genre de
stabilité. L’originalité du travail mené est la mise
en évidence d’organisations de l’action à un stade
encore naissant, non stabilisé. Les enseignants étant
observés à un stade très précoce de leurs GI tant
professionnelles que personnelles avec ces outils, nous observons ce que nous
avons appelé des « schèmes en germes »,
tremplins pour construire des schèmes pérennes, avec des
invariants opératoires constitués. Notre hypothèse peut
alors s’exprimer en termes de schèmes : les
phénomènes observés dans ces deux études de cas
sont, toujours en se référant aux travaux de Vergnaud, deux
processus à l’œuvre pour créer de nouveaux
schèmes, l’un passe par la prise de repères nouveaux,
constituants de schèmes futurs, l’autre par la réduction de
la distance instrumentale que peut introduire l’outil, permettant
l’évolution et l’adaptation de schèmes anciens.
Le phénomène de réduction de la distance,
provoqué par l’irruption de « nouveau » dans
des pratiques anciennes, avait déjà été
observé dans nos travaux antérieurs, dans le cas de
l’intégration d’un logiciel nouveau pour l’enseignement
des mathématiques au collège, c.-à-d. le tableur pour
l’algèbre (Haspekian, 2005),
comme dans le cas d’un domaine nouveau (l’algorithmique) dans
l’enseignement des mathématiques au lycée (Haspekian et Nijimbéré, 2016).
Le premier cas avait mené à l’idée de distance
instrumentale ; les évolutions d’une même enseignante
sur 2 années allaient tous dans le sens d’une réduction de
la distance instrumentale liée au tableur. Le second cas est celui de
l’introduction de l’algorithmique au lycée, où des
phénomènes analogues à ceux liés à la
distance instrumentale s’observaient : tensions et résistances
des enseignants, pratiques de juxtaposition (devoirs à la maison non
intégrés au reste) et, là encore, mise en place de
situations minimisant les écarts provoqués par
l’intégration de l’algorithmique, domaine à
l’époque nouveau dans l’enseignement usuel des
mathématiques au lycée. L’écart provoqué cette
fois par un domaine nouveau (et non plus un instrument) avait alors
été qualifié de « distance » aux
pratiques usuelles en étendant l’idée initiale de
« distance instrumentale » (écart provoqué par
un instrument) (Haspekian, 2017).
Le « nouveau » et la distance afférente, dont il
est question ici, sont encore plus considérables que dans ces deux
cas : instrument nouveau, domaine nouveau et discipline nouvelle. Comme
dans les deux recherches antérieures, on retrouve ici des
stratégies de réduction de la distance, pour s’approcher de
pratiques anciennes, et retrouver des repères didactiques
déjà construits permettant de mener l’activité
nouvelle. Cela s’opère par un déplacement de la discipline
visée pour René qui effectue un virage vers le Français
dont il maitrise bien l’enseignement, ou vers des compétences
transversales (travail en groupe, attitude lors de la recherche d’un
problème...). Les enseignantes utilisant les robots empruntent, elles,
à la démarche expérimentale pratiquée dans
l’enseignement des sciences pour viser, comme René, des
compétences transversales (travail en binôme, projet de classe,
argumentation, socialisation...), dont la gestion peut là aussi
aisément se transférer, car sans « concepts »
sous-jacents.
Enfin, ces résultats peuvent être mis en perspective
également avec ceux de Goigoux lorsqu’il analyse non pas des
contextes inédits à une échelle
« macro » comme c’est le cas ici, mais des
épisodes inédits à une échelle plus micro, comme par
exemple l’action à mener face à un élève qui
rencontre un obstacle non prévu par le professeur :
« des schèmes anciens sont évoqués pour
élaborer une conduite professionnelle adaptée. Les tentatives
effectuées par les enseignants pour faire face à cet
imprévu ne sont pas l’effet du hasard mais résultent de la
parenté, soudain perçue, entre certains indices présents
dans cette situation et les indices présents dans les situations
antérieures analogues (Goigoux, 2002b).
Dans les cas les plus favorables, la situation nouvelle est assimilée par
l’un des schèmes évoqués. Dans d’autres, une
accommodation plus coûteuse sera nécessaire (Vergnaud, 1996) » (Goigoux, 2007, p. 54-55).
Nous sommes ici dans ce dernier cas d’une accommodation plus
coûteuse, la distance engendrée par l’inédit
étant plus grande. En prolongeant le raisonnement, on peut faire
l’hypothèse qu’au-delà d’une certaine distance
limite, l’accommodation n’est plus possible. Cette distance
décrit donc en quelque sorte celle d’une « zone proximale
de développement » côté enseignant, ou
« ZPD professionnelle », idée que l’on retrouve
chez Courally et Goigoux (Courally et Goigoux, 2007) dans le cas de développement professionnel d’un instrument
didactique conçu pour l’apprentissage du français :
« le potentiel de développement des enseignants,
c’est-à-dire l’intervalle entre ce qu’ils
réalisent ordinairement et ce qu’ils pourraient réaliser au
cours d’une genèse instrumentale ». La notion est
explicitement d’inspiration vygotskienne : cet espace potentiel des
activités des enseignants avec l’outil est analysé en
« examinant ce qu’ils déclaraient réaliser, ne
pas pouvoir réaliser et être prêts à réaliser.
Cette zone proximale, par analogie avec la notion théorisée par
Vygotsky au sujet du développement de l’enfant, est
inférée à partir d’une analyse de leur
activité présente et de questions portant sur leur
éventuelle activité future » (Courally et Goigoux, 2007, p. 2-3).
5.3. Perspectives
D’autres études seraient à mener pour analyser les
pratiques mises en place par les enseignants dans des situations inédites
afin d’étudier ces deux stratégies et avancer sur le front
tant de la recherche que des besoins en termes de ressources et de
formation.
Du côté de la recherche, grâce
à la « Double Approche », des éléments
sont identifiés pour décrire les idées de repères et
distance (d’abord instrumentale, puis plus générale) issues,
elles, de « l’Approche Instrumentale ». Nous
n’avons pas développé davantage ici ce cas
intéressant de « networking », où un des
cadres aide à structurer les idées de l’autre, centrant la
présentation sur les études de cas. Ces derniers nous amenant
à parler de distance suffisamment « raisonnable », ou
de « trop grande distance » hors de portée des
schèmes anciens, conduisent à l’idée d’une
« zone proximale de développement » que certains
auteurs ont déjà travaillée du côté du sujet
enseignant (Cèbe et Goigoux, 2007).
Ceci serait à approfondir également.
L’idée de distance (étendue par rapport à celle de
distance instrumentale) paraît ainsi un outil pertinent pour les
problématiques d’intégration dans des pratiques
installées d’artefacts nouveaux (comme le tableur en algèbre
au collège), de domaines nouveaux (comme l’algorithmique en
mathématiques au lycée), mais aussi de disciplines nouvelles
(comme l’informatique dans la scolarité primaire et secondaire...).
Ceci nous semble devoir être pris en compte dans la formation, par exemple
dans les ressources, mais aussi dans l’accompagnement du travail en
classe. L’introduction d’un nouvel outil, par exemple, bouleverse
les pratiques installées en les éloignant du cadre auquel
l’enseignant se réfère, entraînant celui-ci à
tenter de réduire cette distance par des pratiques peu efficaces ou peu
pertinentes. Des formations adéquates pourraient permettre de
réduire cette distance en donnant d’emblée des
repères adéquats au lieu de les laisser se construire au fil du
hasard ou du temps plus ou moins long. Comme le montre le cas de René,
certaines des connaissances nécessaires à la mise en place de
schèmes et au développement d’une GIpro efficace pour
l’utilisation de Scratch par les élèves, se construisent
plus ou moins vite (connaissances A pour les coordonnées et B pour l’initialisation du programme) mais de façon
incomplète (il manque pour A la notion de repère et pour B l’orientation). D’autres peuvent ne pas
s’acquérir ou passer, un temps, inaperçues (dans notre
exemple, la connaissance C). Y-a-t-il des régularités dans
les genèses instrumentales professionnelles observées ici
(connaissances et repères qui s’acquièrent) au fil des
séances, pour Scratch comme pour les robots ? L’idée
serait alors de dégager des connaissances moins aisées que
d’autres, qui seraient donc à mettre en avant en formation. Dans la
lignée des travaux et du cadre théorique de Vergnaud, des jalons
et repères à donner aux enseignants pour un enseignement de
l’informatique serait alors sans doute à penser en termes de champs
conceptuels pour l’informatique, soulignant les connexions entre concepts
ainsi que les problèmes auxquels ces concepts donnent sens, plutôt
qu’en termes de concepts isolés.
Le travail est ainsi à poursuivre pour des élaborations tant du
côté de la recherche, sur la question des tensions
repère-distance et de leur intervention dans les schèmes, que du
côté des besoins en formation.
À
propos des auteurs
Mariam HASPEKIAN est maître de conférences en
didactique des mathématiques au laboratoire de sciences de
l’éducation EDA (Université de Paris). Ses travaux, au sein
de divers projets nationaux et internationaux, concernent l’enseignement
des mathématiques en environnement informatisé et sont
orientés selon deux axes : la mise en relation de divers cadres
théoriques en didactique des mathématiques, notamment celle de
l’approche instrumentale (Artique, Drijvers, Lagrange, Trouche) et de la
double approche didactique et ergonomique (Robert et Rogalski), et
l’analyse des pratiques enseignantes instrumentées. A l’aide
de ces deux cadres, ses travaux cherchent à développer des outils
permettant d’étudier les pratiques en mathématiques mises en
place par les enseignants lors de situations nouvelles, dues, par exemple,
à l’introduction dans l’enseignement d’un nouvel outil
(comme le tableur ou les robots pédagogiques), d’un nouveau domaine
(comme l’algorithmique), voire d’une nouvelle discipline (comme
l’informatique). Elle analyse ainsi ces situations en termes de distance aux pratiques habituelles, de repères didactiques et de double genèse instrumentale chez l’enseignant.
Adresse : Laboratoire EDA,
Université de Paris, 45, rue des saints pères, 75006 PARIS
Courriel : mariam.haspekian@u-paris.fr
Toile : http://eda.recherche.parisdescartes.fr/mariam-haspekian/
Jean-Michel GELIS a été maître de
conférences en sciences de l’éducation, au laboratoire EMA,
à CY Cergy Paris Université jusqu’en 2016. Il
s’intéresse à l’intégration et aux usages des
technologies dans l’enseignement (des mathématiques
principalement), ainsi qu’à l’étude des innovations
qui les portent, à tous niveaux d’enseignement. Il a
participé à de nombreuses recherches portées par les
laboratoires EMA (CY Cergy Paris Université), LDAR et EDA
(Université de Paris). Ses travaux s’appuient sur des cadres
théoriques issus de la didactique des mathématiques (Brousseau,
Chevallard), de l’approche instrumentale (Rabardel) et des recherches sur
les innovations techno-pédagogiques (Depover, Wallet, Moeglin). Ses
résultats concernent l’intégration et les usages de
technologies dans l’enseignement et dans la formation, qu’il
s’agisse d’artefacts (logiciels, tablettes, robots) ou de nouvelles
modalités d’enseignement comme l’enseignement à
distance mis en place à Cergy-Pontoise. Les questions traitées
visent les genèses instrumentales des élèves, enseignants
et formateurs, les modèles pédagogiques induits par les
technologies ainsi que la dynamique, les évolutions et
l’étude systémique d’organisations qui portent les
technologies.
Adresse : 16 Villa des Vergers, 91000
EVRY-COURCOURONNES
Courriel : jm.gelis@laposte.net
Toile : http://www.jmgelis.net/
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