Recherches actuelles sur les MOOC
Editorial
Jean-Marie GILLIOT (Lab-STICC, IMT Atlantique)
Éric BRUILLARD (EDA,
Université Paris Descartes)
1. Introduction
Cinq ans après l’explosion du
phénomène MOOC ou CLOM (pour cours en ligne ouverts et massifs),
ce numéro spécial permet de donner une image de la recherche qui
s’est développée dans la sphère francophone pour
appréhender cette nouvelle forme de dispositif et ses usages.
Apparus tout d’abord dans le champ médiatique en 2012, les
premiers questionnements concernaient rien de moins que les évolutions
mondiales de l’enseignement supérieur. En termes de recherche, les
MOOC ont remis en avant certains travaux sur l’enseignement à
distance ou enseignement en ligne, en renouvelant de nombreuses questions sur
des problématiques déjà établies (Bruillard, 2017a).
Ce phénomène a également bousculé l’offre
de formation en ligne, au travers de l’apparition de plateformes ouvertes
au grand public. La France compte ainsi deux plateformes complémentaires,
FUN pour le monde académique avec 1,2 millions d’inscrits et
OpenClassrooms pour le secteur EdTech avec une communauté de plus de 2,5
millions de membres en 2017, pour un total mondial estimé à 81
millions d’apprenants.
2. Présentation du numéro spécial
Parmi les 18 propositions reçues suite
à l’appel à communications, 6 articles de recherche et 1
rubrique sont finalement publiés dans ce numéro spécial.
Dans les articles retenus, la question de la caractérisation de
l’objet MOOC en tant qu’objet de recherche et la question de la
conception du dispositif pédagogique MOOC sont les deux questions qui
ressortent principalement. Cela peut s’interpréter comme une
manière pour la communauté de s’approprier un dispositif
apparu en dehors de son cercle. Chaque article s’appuie sur des analyses
menées sur des MOOC existants. Le corpus détaillé
s’élève à 19 MOOC, sans compter l’analyse de
Vrillon qui porte sur l’ensemble des MOOC de 2015 de la plateforme
francophone FUN.
Trois acteurs ou trois points de vue principaux structurent les MOOC et les
recherches qui y sont consacrées : les plates-formes, les
concepteurs et les apprenants (également appelés participants).
Cette tripartition se retrouve dans les contributions qui constituent ce
numéro spécial.
3. Les MOOC dans l’offre de formation
Deux propositions ciblent les MOOC en tant
qu’élément d’une offre de formation. La
première analyse la construction de l’offre de formation
d’une institution, la seconde construit une partition de l’offre de
formation d’une plateforme de MOOC.
Christelle Mariais, Aurélie Bayle, Marie-Hélène Comte,
Jean-Marc Hasenfratz et Isabelle Rey proposent un retour
d’expérience sur les MOOC Inria, en explicitant la
variété des choix de conception opérés et en nous
livrant un grand nombre de données issues de la conception et du
déroulement de ces MOOC en 2014-2015. Cet effort de partage de la part de
concepteurs est particulièrement intéressant pour la
communauté de recherche, et il est heureusement consenti par de
nombreuses équipes de par le monde. Pour répondre à
l’enjeu d’Inria de diffuser et valoriser les recherches dans le
domaine des sciences du numérique, les concepteurs proposent ainsi deux
formes de MOOC, les uns dits de large audience en proposant des sujets
classiques, les autres dits de recherche car issus directement de travaux de
recherche menés par les équipes d’Inria. Si cette
différenciation se retrouve dans le nombre d’inscrits, curieusement
elle n’apparait pas dans le profil d’inscription selon le niveau
d’études.
Eléonore Vrillon établit quant à elle 8 formes typiques
de MOOC en analysant l’offre globale de la plateforme francophone FUN au
travers de 195 MOOC. Cette typologie descriptive basée sur une analyse
des correspondances multiples vise à mieux identifier la
variété des MOOC, à la fois pour rendre compte de
distinctions entre MOOC (composition du public, taux de complétion...) et
pour permettre de comparer des résultats de recherche. Nous noterons
parmi les difficultés rencontrées la question de
l’évolution de l’offre et la limite d’une analyse
externe qui ne permet pas d’accéder à des variables aussi
précises que celles que nous livrent Mariais et al. Ces
difficultés transparaissent également dans le questionnement
autour de la logique d’offre de formation et du positionnement des
établissements par rapport à leurs enjeux stratégiques.
Cette étude dépasse ces difficultés en proposant une
typologie qui couvre un large spectre de l’offre francophone.
4. La conception des MOOC
Trois contributions abordent les MOOC sous
l’angle de la conception.
Si Eléonore Vrillon propose une cartographie selon l’axe de
l’offre, Giulia Ortoleva, Claire Peltier et Mireille Bétrancourt
visent une caractérisation orientée ingénierie
pédagogique, avec un questionnement similaire sur le MOOC en tant
qu’objet scientifique. En repartant de plusieurs travaux,
spécifiques aux MOOC ou issus de la formation à distance, les
auteures retiennent 7 dimensions descriptives pour établir leur
typologie : 1) temporalité ; 2) objectifs
d’apprentissage ; 3) collaboration entre pairs ;
4) parcours d’apprentissage ; 5) activités
d’apprentissage ; 6) tutorat ;
7) évaluation/certification. Pour compléter cette typologie,
les auteures nous proposent en outre d’analyser les MOOC sous
l’angle des dispositifs de formation médiatisés en reprenant
les fonctions proposées par (Peraya, 2008) :
1) information ; 2) production ; 3) interaction ;
4) soutien et accompagnement ; 5) évaluation ;
6) gestion ; 7) awareness ;
8) métaréflexion. Cette double caractérisation est
examinée à l’aune de quatre MOOC, démontrant ainsi sa
capacité descriptive. En conclusion, les auteures réconcilient
MOOC et FOAD (Formation Ouverte À Distance), tout en reconnaissant aux
MOOC le mérite double de renouveler le débat sur les questions
liées à l’interaction entre l’ingénierie des
dispositifs et les processus d’enseignement et d’apprentissage,
d’une part, et d’inciter les universités à investir du
côté du numérique, d’autre part.
Laure Chotel aborde également les MOOC sous l’angle de la
conception d’un dispositif pédagogique. En
s’intéressant aux dynamiques particulières de
l’apprentissage des langues dans un contexte de massivité, elle
centre son analyse sur six dimensions : le scénario
pédagogique, composé 1) des activités
pédagogiques et 2) du scénario de communication ;
3) les ressources ; 4) les aides ;
5) l’évaluation et 6) les artefacts techniques. Au
travers de l’analyse critique d’un MOOC de langues proposé
par le British Council, l’auteure démontre qu’il est ainsi
possible d’examiner la pertinence des choix de conception d’un tel
dispositif.
Rim Bejaoui, Gilbert Paquette, Josianne Basque et France Henri se concentrent
pour leur part sur la question de la personnalisation des MOOC. Le cadre
théorique s’appuie sur le concept de pédagogie ouverte et
sur les cadres de l’auto-apprentissage et de l’auto-direction, sans
exclure les propositions d’automatisation de la personnalisation. Les
auteurs nous proposent ainsi une ontologie qui permet d’établir une
grille extrêmement détaillée permettant
d’éclairer les choix des concepteurs quant aux options de
personnalisation et d’en mesurer un score. Là encore, cette grille
permet d’analyser un MOOC existant et de montrer sa capacité
à éclairer les choix effectués par les concepteurs.
5. MOOC et apprenants : processus de participation
Les chercheurs des deux derniers articles
s’appuient sur les données produites par les apprenants, que ce
soit pour conduire une analyse de l’attrition ou pour proposer un service
de personnalisation.
Matthieu Cisel s’intéresse aux inscrits qui n’obtiennent
pas de certificat à l’issue d’un MOOC. Il reprend les travaux
sur l’attrition, une thématique de recherche issue de la formation
des adultes, pour proposer une typologie de comportements et une analyse des
barrières expliquant le désengagement des participants. Sa
contribution à l’analyse de la non certification se base sur une
étude mixte. D’une part, l’auteur effectue une analyse
quantitative fine des modes de consommation des vidéos sur les
données de 6 sessions de MOOC. Il confirme que la simple consultation de
vidéos est insuffisante pour aller au bout d’un MOOC. Il montre
également que le visionnement en ligne et le téléchargement
correspondent à des profils différents, ce dernier étant
moins engageant que le premier. D’autre part, l’auteur restitue son
analyse d’entretiens semi-directifs tendant à illustrer les
différentes décisions, positives ou négatives, ayant
mené les participants à ne pas passer la certification. En
conclusion, l’auteur souligne l’importance d’un certificat
pour la persistance des apprenants, et pose donc la question de l’impact
de la tendance actuelle aux certificats payants sur la participation aux
différents MOOC.
Pour finir, Jill-Jênn Vie, Fabrice Popineau, Éric Bruillard et
Yolaine Bourda abordent l’utilisation des modèles de tests
adaptatifs dans les MOOC, en s’appuyant sur les données des
participants. Ils proposent ainsi de limiter le nombre de questions
posées pour des tests d’aide au positionnement, en s’appuyant
sur un graphe de prérequis, des questions liées à ces
prérequis et une approche à base de q-matrices reliant questions
et connaissances testées. Ils montrent, au travers des données
d’un MOOC sur l’analyse fonctionnelle, que de tels tests permettent
de réduire le nombre de questions posées tout en garantissant la
fiabilité du test.
6. Perspectives
La parution d’un numéro spécial
comme celui-ci permet de prendre date sur la capacité d’une
communauté à intégrer un nouvel objet dans ses
thématiques et problématiques, d’en cerner les
caractéristiques et de proposer des éléments de
réponse validés pour accompagner son évolution. C’est
aussi l’occasion de mesurer à quel point l’évolution
d’un tel objet peut dépasser les cadres d’études
proposés et inviter à relancer diverses pistes de recherche.
En ce début 2018, si l’on en croit le site Class-Central, moteur
de recherche et observatoire en ligne, plusieurs tendances se dégagent (Shah, 2018). Tout
d’abord le modèle économique et le marché des MOOC
semblent arriver à maturité. Le produit MOOC se décline
ainsi en une gamme allant du cours gratuit jusqu’à la proposition
de formations dédiées pour une entreprise en passant par la
délivrance de certificats en ligne, de crédits, de parcours
complets, voire de diplômes.
Cette gamme est en phase avec son marché qui est devenu celui de la
formation professionnelle (Condé et Huguenin, 2017).
En effet, non seulement ce marché est plus prometteur que celui de la
formation initiale, mais de plus les utilisateurs apprenants de MOOC sont
majoritairement des personnes déjà formées. Non le MOOC
n’est pas mort, il a changé de cible principale.
Ce changement de cible permet aux offreurs de MOOC d’assumer une plus
grande flexibilité dans les rythmes et l’encadrement des MOOC. La
dimension sociale et les discussions sur les forums semblent
décroître. Ces points renforcent la nécessité, de la
part des participants, d’une grande capacité d’auto-direction
de leurs apprentissages. La personnalisation ne semble donc pas
s’intégrer naturellement dans l’offre actuelle. Comment
revisiter les cadres de l’auto-apprentissage et de l’auto-direction
pour apporter une réponse qui puisse s’insérer dans cette
offre, ou en complément de cette offre, afin de permettre à un
public plus large de bénéficier de tels cours en ligne ? Il
est en effet indispensable de dépasser le stade de l’injonction
à l’autonomie dans les apprentissages (« apprendre
à apprendre »), en promouvant le développement du
pouvoir d’agir des apprenants (Gilliot et al., 2017) pour permettre une démocratisation effective des apprentissages en
ligne.
Le certificat demeure finalement le point nodal : point de rencontre
entre les modèles économiques, la « valeur »
d’une inscription, le but d’un certain nombre de participants.
C’est le seul élément de la formation effectivement
contrôlé par l’institution de formation, puisque les
participants, une fois inscrits, peuvent piocher ce qu’ils souhaitent dans
ce qu’un MOOC peut leur offrir. Les analyses peuvent se conduire autour
d’un triptyque certification / participation / intention,
c’est-à-dire dans les liens entre l’obtention d’un
certificat, les activités réalisées et l’intention
avant la formation.
Les plates-formes communiquent sur le nombre d’inscrits et le nombre de
certifiés, considérés comme des critères de
succès et de qualité. Mais en quoi cela renseigne-t-il sur ce qui
est appris ? Pour les concepteurs, quelles pourraient être les
« bonnes » mesures de la qualité de leur cours et
quelle peut être la légitimité d’une visite
partielle ? Pour les participants, quel est le but recherché :
l’acquisition de nouveaux savoirs et compétences, une
évolution de carrière ou une autre reconnaissance ?
Considérer un MOOC comme un livre éducatif contemporain (Bruillard, 2017b) permet de poser les questions autrement.
Les MOOC ont-ils vocation à se tourner principalement vers la
formation professionnelle à distance, devenant de fait un
élargissement de la formation ouverte à distance, ou
s’agit-il simplement d’une étape dans le développement
de cet objet qu’est le MOOC ? Les transitions dans le domaine du
numérique nous ont habitués à ce développement en
plusieurs étapes, avec un élargissement de l’offre
après une première phase de consolidation. L’enseignement
supérieur, lui-même entré dans un processus de transition
numérique reste un acteur majeur dans cette évolution.
D’autres propositions émergent, comme la mise en place de MOOC pour
l’orientation à destination des lycéens.
Les articles proposés dans ce numéro spécial apportent
en tout cas des éléments de réponse à la conception
d’une telle offre élargie et les cadres d’analyse
développés permettront de mieux suivre ces évolutions dans
le futur.
REFERENCES
Bruillard, É. (2017a). Les Massive Open Online Courses (Mooc). Dans
La recherche sur l’éducation. Contributions des chercheurs (rapport
Athena-Allistene) (p. 109-112). Disponible sur internet
Bruillard, É. (2017b). MOOCs as contemporary forms of books: new
educational services between control and conversation. IARTEM e-Journal, 9(1),
142-164. Disponible sur internet
Condé,
J. et Huguenin, S. (2017). État des lieux des MOOC au prisme de la
conférence EMOOCS 2017. Adjectif.net. Disponible sur internet
Gilliot, J.-M., Nagels, M., Abel, M.-H., Acensio, L.,
Algave, N. et al. (2017). Comment créer des environnements
d'apprentissage formels, non formels, informels au service des apprenants pour
accroître leur pouvoir d'agir ? Dans Actes ORPHEE RDV 2017 :
Orphée Rendez-vous réseau d'e-Education (p. 1-4).Disponible sur internet
Peraya, D. (2008). Un regard critique sur les concepts de
médiatisation et médiation. Nouvelles pratiques, nouvelles
modélisations. Dans Les enjeux de l’information et de la
communication. Disponible sur internet
Shah, D. (2018). 2017, a year in review. MOOC
Report. Disponible sur internet
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